
Candide par Emmanuel Daumas, une pièce de salon plus blagueuse que mordante
Emmanuel Daumas met en scène son adaptation de Candide au Studio-Théâtre de la Comédie-Française et manque en partie sa cible en montant le conte philosophique de Voltaire de manière franchement blagueuse, plaisante et efficace mais à l’insolence minorée, usant d’une distance ironique trop courte et bien loin de la portée sulfureuse d’origine.
La distribution a par contre été merveilleusement pensée. Les comédiens retenus pour la production amusent formidablement par leur talent comique et parce qu’ils ont chacun à endosser le rôle de récitant qui leur est imparti tout en laissant deviner qu’ils pourraient aussi bien se prendre au jeu d’interpréter un Candide rêvé pour Laurent Stocker, un Pangloss ou un indien de choix pour Serge Bagdassarian toujours irrésistible, un charmeur de pacotille décliné dans toutes les nationalités pour le séduisant Laurent Lafitte, Une Cunégonde sauvage pour Julie Sicard, une vieille meurtrie pour Claude Mathieu. Ces jeux de croisement surprennent et font sens.
Le décor est un luxueux salon d’aujourd’hui, à la fois convivial et étrangement froid, sans doute pour faire écho aux salons de l’époque de Voltaire, lieux catalyseurs de toutes les passions et de tous les scandales. Enfermés dedans, les comédiens sont donc amenés à rendre compte des aventures farfelues et irreprésentables du héros tels des voyageurs immobiles. L’idée est simple et bonne mais on aurait pu imaginer une forme moins lisse, plus frontale, hermétique, plus contemporaine. Celle retenue installe peut-être trop confortablement les acteurs à l’heure du thé s’empiffrant de petits gâteaux. Ils sont des bourgeois campés avec une outrance un peu forcée mais satisfont notre esprit moqueur, en costume pour les messieurs, en robe du soir pour les dames en fourrure, on les dirait prêts à se rendre à l’opéra qui n’est pas loin du Louvre. Et derrière cette apparence apprêtée se dissimulent mal des manières grossières qui n’ont pas grand-chose à voir avec celles des Rothschild. L’idée de faire des personnages des aristos insatiablement gloutons est drôle mais pas assez exploitée. On est loin de l’insolence de La Grande bouffe de Ferreri !
Cela est révélateur d’une adaptation textuelle et scénique vive, énergique mais qui ne parvient pas complètement à créer des images autrement plus fortes que du commentaire humoristique ou de la parodie, légèrement trash mais surtout potache. Tout semble effectivement pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si l’on ne traite pas plus nettement ce que nous dit l’intrigue sur le désenchantement du parcours de Candide, sur la cruauté des hommes et l’atrocité du monde. On ne voit rien de la guerre, de la misère, des ravages, des inégalités… Le sort terrible réservé aux femmes est davantage traité en profondeur et mis au centre du spectacle mais défendu dans un récit peu musclé de Claude Mathieu. La charge politique et la portée philosophique existent donc peu dans cette version néanmoins sympathique.
photo © Cosimo Mirco Magglioca