
“La guerre aux pauvres commence à l’école” de Ruwen Ogien, sur la morale laïque .
Ruwen Ogien est directeur de recherche au CNRS. Il s’occupe principalement de philosophie morale et de philosophie des sciences sociales. Dans L’État nous rend-il meilleurs ? il s’intéressait à nos façons de concevoir la justice sociale et les libertés individuelles dans nos sociétés démocratiques « prospères » où la pensée conservatrice a conquis une certaine hégémonie intellectuelle, et ce, quel que soit le gouvernement. Dans “La guerre aux pauvres commence à l’école”, Ruwen Ogien s’attaque à l’ambition profondément conservatrice de nos ministres de l’Éducation Nationale et au retour à la morale laïque dans nos écoles. Car pourquoi enseigner la morale? Pourquoi faudrait-il surtout qu’elle soit laïque?
[rating=5]
Dans ce nouvel ouvrage incisif et décapant, Ruwen Ogien s’attaque aux idées reçues, révèle les lignes de force et les insuffisances du conservatisme dans nos sociétés modernes. L’Homme se construit grâce à un ennemi, réel, ou virtuel, grâce à un ennemi, extérieur, ou intérieur. Les “barbares” sont partout. Ils ont envahi l’espace sacré de l’école, et sont à l’origine de la dépression du corps enseignant… La solution: “civiliser les barbares” en enseignant la morale laïque à ces petits sauvages… Comment une idée pareille peut-elle germer dans l’esprit de notre “élite” gouvernementale? Cela concerne-t-il les élèves du Lycée Henri IV? Ou plutôt nos bahuts zep de banlieue? Opposer la “civilisation” à la “barbarie” n’est il pas un concept impérialiste révolu et appartenant à une époque lointaine? Apparemment NON. Les discours populaires se radicalisent, flirtent avec le conservatisme archaïque, les crispations catholiques et l’extrême droite. Le discours politique de notre “premier ministre de l’intérieur” sur les roms est significatif d’un état d’esprit emprunté au XIX ème siècle et qui s’inscrit dans le paradoxe du symbole républicain que représente Jules Ferry. Après la quête du salut esclavagiste du moyen-âge, nous devons supporter à l’heure actuelle un État qui se donne le droit de nous dicter nos conduites, nous dire ce qui est bien, pas bien, et comment devenir meilleur et sortir des ténèbres de la barbarie pour accéder à la civilisation. Tout ça ne cache qu’une seule chose: l’éducation n’est plus, et ce depuis bien longtemps, la priorité du gouvernement. Le tout enveloppé dans des discours fumeux sur l’ambition de l’égalité des chances à l’école, de la solidarité et de l’entraide dans l’intérêt général, alors que la hiérarchie sociale s’y crée sur la base simple du: riche=civilisé, pauvre=barbare (à civiliser, les pauvres étant souvent issus de l’immigration et musulmans…). La réussite du plus grand nombre est une illusion. La façade s’effrite, et ceux qui pensent l’école aujourd’hui sont dépassés et vont puiser des solutions dans de vieilles recettes dont le goût est amer, l’objectif absurde, et la finalité destructrice. Comment les sociétés modernes occidentales, et la société française pourront-elles s’en sortir si l’éducation, priorité à laquelle nous avons renoncé, est devenue le nouveau front de la stigmatisation sociale et culturelle, et d’une “guerre intellectuelle aux pauvres”?
“La guerre aux pauvres commence à l’école” de Ruwen Ogien, sur la morale laïque, éditions Le Livre de Poche, février 2014;