Fictions
“Le lambeau”, terreur, massacre et tentative de reconstruction par Philippe Lançon

“Le lambeau”, terreur, massacre et tentative de reconstruction par Philippe Lançon

23 April 2018 | PAR Yaël Hirsch

Journaliste et critique dans les pages de Libération et Charlie Hebdo, Philippe Lançon est grièvement blessé lors de l’attentat du 7 janvier 2015. Trois ans après, il transmue la chronique de son combat pour la vie partagé dans Charlie en roman. Un pavé puissant qui s’intensifie littérairement à mesure qu’il entre dans la chair et s’épaissit. Encore plus qu’un témoignage, un texte important.
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Critique culturel, Philippe Lançon vient de rendre un papier sur Soumission de Houellebecq à Libération et d’être engagé pour donner un semestre de cours à Princeton, quand il gare son vélo pour se rendre à la conférence de presse hebdomadaire de Charlie Hebdo. Nous sommes le 7 janvier 2015, et il vit la tuerie, sauvé par un gros livre sur le jazz et grièvement blessé. Touché aux membres, il a le bas de la mâchoire pulvérisé par les balles. “C’est une blessure de guerre”, note un des médecins qui vient le chercher. Oui, une gueule cassée, comme les poilus de la Première Guerre mondiale. Commence alors la survie à l’hôpital, la rupture avec l’actualité et le repli sur soi, loin de l’amante de New-York et de la famille pourtant solidaire, pour cicatriser et réapprendre à vivre une autre vie, entre La Salpêtrière et l’hôpital des Invalides, où, de greffe en greffe, certaines fonctions reviennent : manger, sentir, lire, désirer et bientôt écrire.

Evidemment, le Lambeau brûle, touche, bouleverse. Evidemment, le témoignage en direct de la réunion de rédaction de Charlie est bluffant. Mais au-delà du témoignage, le roman de Philippe Lançon atteint des sommets quand il place l’écriture entre lui et lui dans la chambre d’hôpital où il lutte pour la survie. Où il faut s’en remettre aux mains de la chirurgienne, séduire le personnel soignant pour essayer d’améliorer son sort et où l’on s’habitue presque aux machines qui remplacent les fonctions naturelles et à la douleur. Un monde où l’on n’a plus d’âge, où la dignité est aussi floue que nécessaire et où il faut vraiment penser étape par étape si l’on veut essayer de s’en sortir. Ce sous-sol étrange et presque mythologique, l’auteur le décrit avec une sincérité et un dévoilement narcissiques si purs que son écriture suit et grandit au fur et à mesure qu’une porte intérieure s’ouvre. C’est dur, violent, très perturbant, apparaît parfois comme l’onde de choc de la violence du massacre terroriste. C’est immédiat, même quand il y a analyse et c’est un coup de point qu’on salue très bas comme un travail de fouille au plus profond de l’humain.

Philippe Lançon, Le lambeau, Gallimard, 512 p., Sortie le 12 avril 2018.
visuel : couverture du livre.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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