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Aucun tube de Cantat n’effacera la mort de Trintignant

Aucun tube de Cantat n’effacera la mort de Trintignant

11 October 2017 | PAR Charles Filhine-Trésarrieu

Ce mercredi 11 octobre, Bertrand Cantat s’affiche en une des Inrockuptibles. Doit-on vraiment mettre en avant cet homme violent dont les coups ont fini par tuer sa compagne, Marie Trintignant ?

 

Fustigée dès avant sa sortie en kiosques, la dernière une des Inrocks n’a pas tardé à faire parler d’elle. On y découvre le chanteur Bertrand Cantat, léger sourire au coin des lèvres, venu faire la promo de son nouveau titre. À l’intérieur du magazine, on retrouve une longue interview de l’ancien leader de Noir Désir, au cours de laquelle il s’exprime évidemment sur son prochain album. Mais la polémique qui en résulte a évidemment pour objet le traitement qui est réservé à celui dont les coups ont ôté la vie de l’actrice Marie Trintignant. En 2003, alors que comme chaque année plus de 150 femmes tombaient en France sous les coups de leur conjoint, c’est la mort de l’actrice, que tout le monde connaissait pour ses rôles dans Une affaire de femmes ou encore Le Cri de la soie, qui retint l’attention des médias. Décédée sur le tournage du film Colette en Lituanie, elle a succombé aux blessures infligées par son compagnon de l’époque, Bertrand Cantat, aggravées par l’absence de premiers soins rapides du fait des hésitations du chanteur à appeler les secours. Son « meurtrier involontaire » a été condamné à 8 ans de réclusion en 2004, mais est sorti de prison en 2007, obtenant une liberté conditionnelle au bout de 3 années seulement pour « bonne conduite », puis liberté totale depuis 2011. Officiellement condamné pour « homicide involontaire », ceux qui aujourd’hui le qualifient d’« assassin » s’exposent ainsi à des poursuites…

 

Alors pourquoi tant de critiques à l’encontre de ceux qui choisissent de tendre la main à celui qui a officiellement purgé sa peine ? Les défenseurs de l’artiste de 53 ans en appellent à la liberté d’expression et au droit à la réinsertion pour les criminels ayant purgé une peine qui a été prononcée par la justice. Certains expliquent qu’il faut dissocier l’homme de l’artiste (des arguments récurrents lorsqu’il s’agit d’artistes masculin ayant agressé des femmes). Mais au-delà d’un éventuel traitement objectif du talent de Bertrand Cantat, c’est surtout la proximité des Inrocks avec le chanteur qui agace. Il y a quatre ans déjà, c’est au sein de ce même hebdomadaire que Bertrand Cantat avait trouvé une oreille bienveillante pour assurer sa promo. À l’époque, les Inrocks se demandaient : « Comment peut-on refuser au chanteur la rédemption que l’on accorde, à juste titre, à tous les autres condamnés en recherche de réinsertion?? ». On qualifiait alors de « geste de folie » les coups fatals portés à l’encontre de Marie Trintignant. En 2017, les Inrocks réaffirment leur parti pris en estimant, en complément de l’interview du chanteur, que « Pour ses actes, Bertrand Cantat a été jugé, condamné, incarcéré. Il a ensuite été libéré, peine purgée. Chacun a le droit de s’en étonner, de s’en offusquer ou de juste respecter une décision de justice qui offre à un homme une rédemption, le droit d’exercer son ancien métier de musicien. »

 

Ces arguments ne suffisent pas à convaincre Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Elle a rapidement dénoncé la une des Inrocks dans un tweet repris plus d’un millier de fois sur le réseau social. Petite cerise sur le gateau pour ceux qui estiment que cette couverture bafoue la mémoire de Marie Trintignant, le CD promotionnel plaqué contre la couverture, où est mis en valeur le nom du chanteur Orelsan. Plusieurs réactions, notamment celle de Laurence Rossignol, l’ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes au sein des gouvernements Valls puis Cazeneuve, font ainsi remarquer de façon grinçante l’ironie de la présence accolée au nom de Cantat de celui de ce rappeur qui, trois ans seulement après la mort de l’actrice, campait dans l’une de ses chanson un personnage fictif mais odieux qui appelait les femmes à fermer leurs gueules si elles ne voulaient pas « se faire marie-trintigner »… Au-delà du sort réservé à Bertrand Cantat c’est l’impunité dont jouissent les hommes coupables de violences contre des femmes qui se joue ici. Les Inrocks on choisit de conserver cette culture misogyne en acceptant le couplet de l’homme torturé par ses passions dévastatrices et même un nouveau chantage au suicide du chanteur (ce n’est pas le premier) qui confesse y avoir pensé et « avoir pris beaucoup de médicaments. » C’est encore la blogueuse féministe Crèpe Georgette qui résume le mieux le triste message diffusé par cette une des Inrockuptibles : « On peut en France tuer une femme et faire la Une d’un journal comme si de rien n’était, comme si tout cela était de vieilles histoires sur lequel on peut bien tirer un trait. »

Visuel : © Les Inrockuptibles – Capture d’écran Twitter

Coup d’envoi de l’édition 2017 des Rencontres cinématographiques de Dijon le 12 octobre.
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Charles Filhine-Trésarrieu

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