Voyage
Carnet de voyage : le Karst slovène

Carnet de voyage : le Karst slovène

04 November 2022 | PAR Hannah Starman

À la croisée de l’Europe occidentale et des Balkans, la Slovénie est le paradis vert du touriste exigeant et soucieux de son empreinte carbone. La taille du pays et son extraordinaire variété permettent de bien remplir sa semaine en impressions fortes et en découvertes étonnantes, sans perdre de temps en déplacements. En seulement quelques heures, on peut retenir son souffle devant un cheval historique, visiter la plus grande grotte souterraine d’Europe et admirer une rare danse macabre.

L’étalon de la reine

Élevé en 1580 à l’initiative de l’archiduc d’Autriche Charles II, le Lipizzan est “le plus ancien et le plus prestigieux représentant de la grande famille des chevaux baroques”. Son nom vient de Lipica, le petit village slovène où le premier haras impérial a été établi, il y a plus de quatre siècles, pour fournir les étalons à la célèbre Spanische Hofreitschule – École d’Équitation espagnole de Vienne.

Issu du croisement entre chevaux andalous, arabes, napolitains et locaux de la région du Karst slovène, le Lipizzan est connu pour sa constitution robuste, son caractère affirmé et sa robe qui change progressivement de couleur : bai foncé à la naissance, le cheval devient blanc à l’âge adulte. Le Lipizzan est un cheval rare – on estime que le nombre de cette espèce ne dépasse pas 15 000 chevaux dans le monde – et maintenu en race pure. Environ trente poulains naissent chaque année à Lipica et à chaque naissance, le personnel du haras plante un tilleul (lipa, en slovène).

Doté d’aptitudes remarquables en dressage, le Lipizzan est, sans aucune discontinuité depuis le XVIIIesiècle, la monture exclusive de l’école espagnole, “la seule institution au monde qui conserve et cultive, sans le transformer, l’art équestre classique de la Haute École depuis la Renaissance”. La Haute École perfectionne la maîtrise du cheval dans ses gestes et lui apprend des figures au cours desquelles le cheval quitte le sol, soit seulement au niveau de son avant-main (levade ou pesade), soit en totalité (balotade ou cabriole).

Lors de sa visite officielle en Slovénie en 2008, la reine Elisabeth II – dont on connaît la passion pour les chevaux – a visité Lipica et s’est vue offrir un étalon blanc nommé 085 Favory Canissa XXII, Kanižko pour les intimes. Présenté à la reine comme “un des meilleurs chevaux de dressage et un des plus beaux chevaux du haras”, Kanižko a gagné de nombreuses compétitions et engendré 29 poulains. Il est mort en novembre 2017 à l’âge de 25 ans.

Le bébé dragon des grottes

À 12 km seulement de Lipica, se cache un réseau exceptionnel de grottes calcaires de plus de 6 km de galeries, à plus de 200 m de profondeur. Inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1986, les Grottes de Škocjan constituent un vaste système souterrain de grottes, de lacs et de chutes d’eau creusés par le fleuve Reka, lequel prend sa source sous le plateau de Snežnik, disparaît sous terre et réapparaît à la surface une trentaine de kilomètres plus loin en Italie. Les Grottes de Škocjan abritent l’un des plus grands canyons souterrains connus au monde (2 km de long et plus de 150 m de haut), ainsi que la Salle de Martel, la plus grande salle souterraine d’Europe, dont le volume dépasse 2 millions de mètres cubes. Outre le formidable spectacle visuel et sonore – le bruit des cascades et des rapides peut être étourdissant et les dépôts calcaires formés par des gouttes d’eau forment d’étonnantes stalagmites, stalactites et gours -, le site de Škocjan est un des plus célèbres au monde pour l’étude des phénomènes karstiques.

De nombreux animaux rares vivent dans les Grottes de Škocjan. Quelque 25 espèces différentes de chauves-souris hibernent dans les chambres souterraines et les guides cherchent volontiers dans leurs portables des photos de bébés chauves-souris pour les montrer aux touristes émerveillés devant tant de mignonnerie, mais la vraie royauté de ce monde souterrain reste la célèbre salamandre des grottes (protée anguillard, lat. Proteus anguinus). Surnommé “poisson humain” à cause de sa peau qui ressemble à celle de l’homme ou encore “bébé dragon”, le protée est complètement aveugle et mesure une vingtaine de centimètres. Cet animal fantastique vit centenaire sans montrer le moindre signe de vieillissement biologique. Il est capable de reconstituer ses membres endommagés ou amputés, et il peut se passer de nourriture pendant douze ans, ou encore survivre sans oxygène pendant trois jours.

Le protée intéresse surtout les chercheurs en raison de sa capacité régénerative et de sa “formule de jouvence”. Le Proteus Genome Project, une collaboration scientifique entre la Slovénie, la Chine et le Danemark, lancée en 2019, cherchera à séquencer le génome du Proteus – quinze fois plus grand que celui de l’homme ! – afin de “contribuer à l’innovation de nouveaux traitements médicaux des affections nécessitant une médecine régénérative, ainsi qu’à une meilleure compréhension du vieillissement et des moyens de le retarder.” Le protée est inscrit sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature et protégé par une batterie d’actes législatifs nationaux et internationaux. La plus grande menace qui pèse sur ce prédateur des fonds souterrains sans véritable ennemi naturel est le changement de son habitat, notamment par la contamination des réseaux souterrains par la pollution au niveau de la surface.

La danse macabre

Un autre bijou surplombe le petit village de Hrastovlje à 30 km des Grottes de Škocjan : une église fortifiée du XIIe siècle avec ses fresques en parfait état de conservation. Les impressionnantes fortifications qui entourent la petite église médiévale ont été construites au XVIe siècle pour la préserver des attaques ottomanes. Peintes par Jean de Kastav en 1490, les fresques qui recouvrent toute la surface intérieure de l’église de la Sainte Trinité ont été préservées sous une épaisse couche de chaux pendant plus de quatre siècles. Outre la fameuse Danse macabre, les fresques représentent des scènes, personnages et fêtes bibliques, permettant ainsi aux analphabètes de se familiariser avec l’Ancien Testament, la Passion du Christ et la vie des saints. L’épidémie de la peste qui a sévi pendant le Moyen Âge en Europe a inspiré le motif de la danse macabre qui apparaît d’abord en France en 1425 et s’étend très rapidement à toute l’Europe, y compris au petit village de Hrastovlje.

La danse macabre de la Sainte Trinité se distingue par le fait qu’elle se déroule de droite à gauche, ce qui est rare. Elle représente onze personnages, des hommes, de toutes les classes et de tous âges, qui marchent, chacun derrière le squelette qui le tient par la main et l’entraîne impitoyablement en direction de la Mort. Devant la tombe ouverte à ses pieds, on distingue le pape, le roi, la reine, le cardinal, l’évêque, le moine, le bourgeois, l’usurier, le jeune homme, l’estropié et finalement l’enfant sortant de son berceau. L’usurier offre en vain une bourse à son escorte squelettique, d’autres négocient, évoquent leur rang et leur statut, mais personne n’échappe à la Mort qui, elle, rit de toutes ses dents devant ce spectacle. L’ensemble de l’intérieur de l’église a été recouvert de chaux pendant l’épidémie de la peste qui aurait emporté tous les habitants, excepté deux jeunes filles. Épargnées, elles auraient repeuplé le village dévasté. Ce n’est qu’en 1949 que le sculpteur local Jože Pohlen découvre les fresques parfaitement intactes et qui seront restaurées en 1950.

Dix générations d’aubergistes

Pour se restaurer et se loger dans la région, une adresse s’impose : l’Auberge Muha. Fondée en 1679, l’auberge se situe à Lokev, le village qui est presque à équidistance des trois lieux visités : le haras de Lipica, les Grottes de Škocjan et l’église de la Sainte Trinité de Hrastovlje. Andrej Muha représente la dixième génération des propriétaires de cette auberge où tous les plats, les vins et les fromages sont délicieux, locaux et préparés comme votre grand-mère l’aurait fait si elle était native du Karst.

Les spécialités locales ressemblent à une version plus robuste et plus franche de la cuisine italienne, agrémentée de quelques apports austro-hongrois typiquement slovènes. Gnocchis, goulash de gibier, fromages locaux, le fameux jambon séché de Karst, les palatschinken aux noix et au chocolat sont servis en portions conçues pour nourrir les hommes appelés à défendre leur village contre les attaques ottomanes et restées inchangées depuis le XVIe siècle. Pour profiter pleinement de la cuisine chez Muha, vous serez amenés à mobiliser toute la capacité de votre estomac. Pensez aussi à garder une petite place pour le dessert et pour la célèbre liqueur de Teran, le vin local tannique et acide qui accompagne le gibier et autres spécialités. En automne vous profiterez également des mille et une façons de préparer les champignons cueillis dans les bois environnants.

Informations pratiques: 

Les visites de Lipica et des Grottes de Škocjan sont possibles en français à condition de prévenir quelques jours à l’avance. Les horaires de visites et de spectacles changent selon les saisons et les conditions météorologiques. 
Pour visiter l’église, prévenez Mme Rozana Rihter au +386 31 432 231.

Pour réserver à l’Auberge Muha, c’est ici.

Visuels : © Hannah Starman, Kobilarna Lipica, Škocjanske jame et timbre officiel “La Slovénie marque le 250e anniversaire de la première description scientifique de Proteus anguinus avec un timbre personnalisé”

 
 
 
Fleur de sang, d’Emmanuel Robert-Espalieu : une tragédie en cinq actes
Fantasmagoria, le concerto pour fantômes de Philippe Quesne
Hannah Starman

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration