
A la Rencontre du chef Israélien Yariv Berreby lors de Taste of Paris : “Les schnitzels de ma mère, c’est ma madeleine de Proust”
Invités par le ministère du Tourisme Israélien à suivre au cœur de Taste of Paris (lire notre article sur ce salon au Grand Palais Éphemère) un atelier de cuisine du chef Yariv Berreby, co-fondateur de Salatim et Maafim, deux restaurants du 2e arrondissement, c’est après avoir cuisiné des courgettes avec plus de saveurs que jamais dans notre vie que nous avons pu rencontrer ce créateur, soucieux aussi bien de la convivialité que de redonner corps et saveurs à la tradition.
Quelles sont les saveurs de votre enfance ? Qui cuisinait chez vous ?
Ce sont ma grand-mère et ma mère qui m’ont donné le goût de la cuisine. Ce sont de bonnes cuisinières, plutôt tournées vers la cuisine tunisienne influencée par les plats de shabbat. Nous vivions à Ramat Gan, à côté de Tel Aviv. J’ai eu une enfance paisible, près de nos grands-parents ; je me souviens du figuier de mon grand-père… Tous les vendredis, nous avions nos rituels : les schnitzels de ma mère ashkénaze, aussi bien que les boulettes ma grand-mère séfarade. Ma mère est ashkénaze et mon père est séfarade. Pour faire plaisir à mon père, ma mère s’est adaptée à la cuisine séfarade. Sa belle-mère lui a appris à cuisiner tous les plats typiques juifs tunisiens. J’ai donc commencé à apprécier cette cuisine dès mon plus jeune âge. Les schnitzels de ma mère, c’est ma madeleine de Proust. Même aujourd’hui, quand je vais en Israël pour voir ma mère, elle me fait ce plat le vendredi. La plupart du temps, enfant, nous le mangions même avant shabbat, parce qu’en sortant de l’école, nous avions faim et nous piquions des schnitzels à côté de la fenêtre.
Le schnitzel l’emporte sur la boulette alors ?
Pas du tout ! La boulette de shabbat est pour moi un plat phare, parce qu’on le mangeait le vendredi, mais aussi le samedi matin quand on allait à la pèche avec mon père.
Comment êtes-vous arrivés en France ?
J’ai toujours eu cette passion pour la gastronomie française et c’est pour cela que je suis venu en France, pour apprendre la cuisine. Je suis arrivé après l’armée, vers 21 ou 22 ans, et c’est là que j’ai découvert l’apprentissage mais surtout l’histoire de la gastronomie, qu’elle soit Israélienne, Française ou autre. J’ai compris que dans chaque plat, il y avait une histoire à raconter. C’est à ce moment-là que j’ai creusé mon histoire personnelle : pourquoi ma grand-mère faisait cela ? Qui était son arrière-grand-mère ? Pour vraiment apprendre et connaître la réussite de chaque plat. Par exemple, pour ces fameuses boulettes de shabbat, j’ai voulu les refaire pour le faire goûter à des cuisiniers en France. La première fois que j’ai demandé la recette à ma grand-mère, ça a été très compliqué car elle… n’en avait pas ! Or à l’école j’avais appris qu’il fallait des ingrédients, un grammage précis ou un processus strict. Et je me suis retrouvé face à elle qui n’avait rien de tout ça. Elle avait juste suivi les instructions de sa mère et sa mère, celle de sa grand-mère : mettre la viande et ajouter un peu de ci, un peu de ça et un peu de ça. Dans la tradition orale des recettes de famille, les doses ne sont pas toujours précises. Je ne comprenais pas comment elle arrivait à rendre ses boulettes si onctueuses, alors que moi j’obtenais quelque chose de très compact et dense. La première fois que j’ai voulu lui rendre hommage et faire sa recette dans mon restaurant, cela n’a pas du tout marché. J’ai dû repartir spécialement en Israël pour les faire avec elle, découvrir toutes ses astuces et comprendre. C’est seulement ensuite que j’ai pu retranscrire la recette en grammage.
Quel est alors le secret d’une boulette tendre ?
C’est un coup de main à prendre ! L’équilibre entre les herbes, l’oignon, la mie de pain, l’œuf et la texture surtout. C’est quelque chose qui ne peut pas s’expliquer, on peut la retranscrire en recette, mais c’est tout. Ma grand-mère, en plus, utilisait l’entrecôte car elle voulait le meilleur. Même lorsque je lui disais que ce n’était pas un morceau qui se hachait, elle me disait qu’elle utilisait le meilleur pour ses petits-enfants ! Cette recette, c’est pour moi le contraste entre le Yariv cuisinier qui a fait des écoles dans des hôtels ou des restaurants étoilés et la petite cuisine à la maison où avec tout mon bagage technique, je n’arrivais pas du tout à retranscrire une recette simple.
À quel moment vous vous êtes permis de revenir à cette cuisine de votre famille ?
Pendant longtemps, en tant que cuisinier, je me suis cherché : quelle était « ma patte » ? Quelle était ma culture ? Qui étais-je en tant que cuisinier ? Pendant longtemps, j’ai eu ce rêve des étoiles, du restaurant gastronomique, de faire quelque chose de grandiose. Et un jour où j’étais en Israël, je suis parti au Shouk et j’ai vu quelqu’un qui, avec juste une table en bois, deux inductions et deux poêles, cuisinait simplement des produits savoureux et je me suis dit : c’est ça dont j’ai envie. Après une dizaine d’années d’intensité et de travail acharné, j’ai dû enlever, petit à petit, l’ « ego du chef » qui m’empêchait de créer un lieu simple, bon et où les gens sont contents de venir manger et dont j’avais envie pour être moi-même.
Est-ce que l’explosion de la cuisine israélienne a contribué à ce choix, ou est-ce simplement arrivé en même temps ?
C’est un hasard total et lorsque la vague de la cuisine israélienne est arrivée, c’était très inattendu pour moi. Je ne pensais pas que cette cuisine susciterait un tel engouement et que des chefs comme Assaf Granit ou Eyal Shani la porteraient dans le monde entier : Londres, New-York ou Paris. J’étais porté par une envie de découvrir une cuisine qui ne correspondait pas ma formation initiale, ce qui m’a permis un retour aux sources avec une vrai recherche de culture.
Êtes-vous allés apprendre la cuisine de votre culture avec d’autres que votre grand-mère ?
Avec ma grand-mère, ma mère, des voisines aussi, parce que j’allais beaucoup chez les voisines qui faisait d’autres plats typiques comme le jachnun. C’est un plat yéménite que j’adorais manger. Adolescent, c’était notre plat de lendemain de cuite et je suis encore nostalgique de samedi matin où nous allions chercher notre jachnun au bord de la mer. Il y a d’autres recettes que j’ai essayé de découvrir comme le malawah. Je voulais faire le pain maison, je suis donc allé chercher comment faire la pita chez des artisans boulangers. Cette redécouverte de la cuisine israélienne, petit à petit, m’a permis de recoller les souvenirs d’enfance, avec la compréhension du pourquoi et du comment.
Avez-vous un ingrédient sans lequel vous ne pouvez pas cuisiner ?
C’est difficile à dire… C’est plutôt par tendance, par envie, à un moment dans l’année que j’aime utiliser un produit type. Mais j’aime beaucoup la tahina, le sésame. Je ne l’utilise pas de manière classique. Je le sers plus comme un assaisonnement subtil, comme une matière grasse (comme le beurre ou l’huile). Je l’utilise dans des beignets de Hanoucca, par exemple. Je mets du tahina pour donner du contraste à une confiture ou à du chocolat, pour donner un côté salin, comme on peut utiliser la fleur de sel dans certaines recettes.
Salatim, 15 rue des jeûneurs, 75002 Paris.
Maafim, 5 rue des Forges, 75002 Paris
Crédits Photos : Jean-Baptiste Chauvin/Studioart.