Théâtre
Un mois à la campagne de Tourgueniev au Théâtre de l’Athénée

Un mois à la campagne de Tourgueniev au Théâtre de l’Athénée

14 January 2023 | PAR David Rofé-Sarfati

Clément Hervieu-Léger met en scène à l’Athénée Louis-Jouvet Un mois à la campagne de Tourgueniev dans une traduction que l’on doit au dramaturge Michel Vinaver. Le 533e sociétaire de la Comédie-Française s’entoure de l’équipe de la Compagnie des Petits Champs, qu’il a cofondée en 2010. Le résultat est drôle, enthousiasmant et merveilleux.

La représentation de la ruralité au théâtre est  un défi. Il n’est pas simple de donner à voir et à vivre au spectateur la campagne et son âme.  Aurélie Maestre ne parvient pas à renouveler sa performance de La cerisaie du même Clément Hervieu-Léger à La Comédie Française. Il manque au décor un petit quelque chose du côté de la cohérence, de la fluidité, de l’âme ou du discours. Cependant point nous chaut tant cette pièce est formidable.

Un Théorème de Pasolini avant Tchekhov

Il y a Clémence Boué (Natalia) dont chaque mot offert, chaque geste condense mille sens. Elle galvanise la salle, colonise le plateau, restitue chaque nuance d’une psyché profonde, d’une intelligence plurielle. Rappelons l’intrigue délicieuse car elle se situe  à cheval entre Molière et Tchekhov, entre le marivaudage, les quiproquos et la farce philosophique, entre le psychodrame et la comédie à l’italienne. Dans la maison d’Arkady et de Natalia, l’indolence, sœur d’une certaine mélancolie, contamine presque tout le monde. Délaissée par son mari, Natalia ne trouve plus en Rakitine, son amant platonique, l’apaisement par la conversation qui faisait sa routine.  L’arrivée d’Alexeï, le précepteur qu’elle a engagé pour s’occuper du petit Kolia, va venir perturber l’existence morne à laquelle toute la maison semblait condamnée pour toujours. Venu tout droit de Moscou, le jeune homme, inconscient de son propre charme, va provoquer l’irruption de la vie et de la passion dans un petit monde figé. Nous sommes une génération avant La cerisaie de Tchekhov, où l’aristocratie croit encore en son avenir, mais déjà s’inquiète de la grande Moscou. 

Le désir qui magnifie les êtres

Le mal qui dévore Natalia se nomme tout simplement le désir, un désir inconnu éruptif et qu’elle découvre en transfuge. Elle n’est pas la seule à souffrir. Véra, l’orpheline qu’elle a prise sous sa protection, est, elle aussi, séduite par le bel Alexeï. Clémence Boué impressionne de justesse et de profondeur. Sa présence sur scène accompagne les dialogues succulents de Tourgueniev. Ses partenaires épousent son excellence. Ils sont formidables. certains même sont inoubliables tels que  Jean-Noël Brouté en Barbon, Stéphane Facco en ami sincère mais dépité et tel l’immense Daniel San Pedro en philosophe amusé, désabusé.

Ils sont inoubliables à l’instar du texte étrangement contemporain de Ivan Tourgueniev. Il est un joyau lorsqu’il qui dépeint par une psychologisation fine les affres d’une femme qui s’ennuie et qui est percutée par le désir, alimentée par la jalousie et son instinct qui se rallume en elle.  Il est fantastique lorsqu’il nous fait cheminer dans les méandres d’un esprit qui renoue avec la vie.

Un mois à la campagne est la pièce la plus célèbre de Tourgueniev. Elle fut écrite en 1850. Cette année elle aura connu, en Clémence Boué dirigée par la main experte de Clément Hervieu-Léger, sa nouvelle diva (le rôle fut interprété par Isabelle Huppert en 1989). 

Un mois à la campagne de Tourgueniev

Texte Ivan Tourgueniev • Mise en scène Clément Hervieu-Léger

Traduction Michel Vinaver • Collaboration artistique Aurélien Hamard-Padis • Scénographie Aurélie Maestre • Costumes Caroline de Vivaise • Lumières Alban Sauvé • Création sonore Jean-Luc Ristord • Régie Générale Philippe Zielinski • Coiffure et maquillage Réjane Selmane

Alexeï Nikolaïtch Beliaev Louis Berthélémy • Natalia Petrovna Clémence Boué • Athanase Ivanovitch Bolchintsov Jean-Noël Brouté • Mikhaïl Alexandritch Rakitine Stéphane Facco • Anna Semionovna Islaïeva Isabelle Gardien • Véra Alexandrovna Juliette Léger • Arkady Serguïeitch Islaïev Guillaume Ravoire • Lizaveta Bogdanovna Mireille Roussel • Ignace Ilitch Chpiguelski Daniel San Pedro • Kolia Nathan Goldsztejn, Lucas Ponton, Martin Verhoeven (en alternance)

Au Théâtre de l’Athénée jusqu’au 4 février.

Mardi 7 février, 20h30 : Théâtre en Dracénie, Draguignan
Jeudi 9, vendredi 10 février, 20h30 : Scène nationale d’Albi
Jeudi 16 février, 20h30 : Espace Marcel Carné, St Michel sur Orge
Mardi 28 février, 20h30 : Théâtre de Chartres
Vendredi 3, samedi 4 mars, à 14h30 et à 20h30 : Grand Théâtre de Calais
Mercredi 8 et jeudi 9 mars, 20h : Théâtre de Caen
Mercredi et jeudi 16 mars, 20h30 / Maison de la Culture d’Amiens
Mardi 21 mars, 20h : Forum de Flers
Jeudi 23 mars, 19h30 et vendredi 24 mars, 20h30 : La Coursive, La Rochelle
Mardi 28 mars, 20h : Théâtre de l’Olivier, Istres
Jeudi 30, vendredi 31 mars, 20h : Théâtre national de Nice
Jeudi 6 avril, 20h : Théâtre de l’Arsenal, Val de Reuil
Mardi 25 avril, 20h : Scène national du Sud Aquitain, Bayonne

Crédit photo © Juliette Parisot

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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