Théâtre
Platonov : Mathias Brossard et le Collectif CCC proposent un passionnant feuilleton en forêt

Platonov : Mathias Brossard et le Collectif CCC proposent un passionnant feuilleton en forêt

18 September 2022 | PAR Yaël Hirsch

Sorti de La Manufacture en 2015, le Lausannois Mathias Brossard met en scène en plein air. Proposé en 12 heures (version longue) dans les bois, son adaptation du Platonov de Tchékhov, proposé avec la Comédie de Genève et le collectif CCC (Comédiens et Comédiennes à Ciel Ouvert) est un feuilleton dingue d’inventivité et d’énergie. Toute La Culture était à Genève pour vivre une partie de l’aventure…

Après le bout du monde, bien couverts

Il fallait arriver bien couvert et avec de bonnes chaussures, ce samedi 17 septembre au Centre sportif de Vessy, tout de suite après « le bout du monde ». Alors que le feuilleton est distillé par dose de 2h30 dans la semaine, ce week-end c’est en deux jours que le CCC, Mathias Brossard et la Comédie de Genève nous proposaient de vivre l’expérience. Un tabouret pliable dans la main, un col roulé dans le sac, nous commençons par un hot-dog à la cantine du grand et verdoyant centre sportif avant de suivre une comédienne pétillante et très excitée de jouer un rôle vers la rivière et le bois. Après une quinzaine de minutes de pérégrinations (où nous apprenons que deux des personnages principaux sont restés coincés … à la douane), nous arrivons à l’endroit où le premier acte sera joué. Cela sent bon, le soleil brille, mais il fait frais et humide sous les arbres où en posant nos sièges nous installons nous-mêmes un vrai théâtre.

L’entrée en matière : Platonov

Quelques buches permettent aux acteurs de se poser et la pièce commence sans commencer, dans l’attente très tchekhovienne des comédiens manquants. Ceci laisse l’occasion à la comédienne interprétant la metteuse en scène de nous raconter l’histoire de cette pièce de jeunesse (écrite en 1878), longtemps perdue et retrouvée dans les années 1920. Et aussi de nous la résumer. Une femme invite chaque été quelques proches dans un lieu en villégiature. On y joue aux échecs, on y cancane et on y attend donc Platonov et sa femme Sascha. PLatonov est au cœur du petit groupe, à la fois intéressé, manipulateur et mauvais, mais séduisant et aimé de tous… La pièce est sous-titrée « L’absence des pères » et en effet, l’ordre des choses s’y brouille beaucoup.

Une utilisation géniale de l’espace

On pourrait tout arrêter et juste écouter et voir devant nos yeux Platonov, ce qui irait de soi avec l’unité des lieux qui crée la tension chez Tchekhov, mais, du coup, ce n’est pas ce qui arrive. Les comédiens et le metteur en scène qui ont repéré et répété chaque année in situ (en témoigne l’odeur agréable d’huile essentielle anti-tiques utilisées par les comédiens, habitués des lieux !) nous proposent une scène à 360 degrés parfois, et au moins un couloir de plusieurs dizaines de mètres devant nos yeux qui permettent à plusieurs scènes d’avoir lieu à la fois. C’est hyper maîtrisé, très vivant et très rythmé. Les personnages nouveaux font irruption dans le bois : à pied, à moto, à vélo et … en bateau (réellement). A chaque moment, on entend tout, même lorsqu’on ne voit presque plus, ou si l’on voit de très loin une scène comme celle du repas, c’est un tableau de fond qui nous permet d’assister à ce qu’il se passe en coulisse. Les comédiens sont énergiques, joyeux, le métatexte ajouté leur permet de raconter leur amour de cette pièce (« L’absence des pères nous parle à nous jeunes trentenaires de 2022 »), de se partager et d’échanger les rôles, notamment, celui, douteux du vieux juif. Ils s’emparent réellement de Tchekhov, le malaxent dans tous les sens jusqu’à nous désorienter et le rendre mouvant ! Ça chante des chants russes et du Goldman, ça remue, ça danse et ça parle crument de sexe et de famille… sans rien toucher au texte de Tchekhov. C’est aussi réflexif avec des questions sur quoi couper, pourquoi et comment, et des remarques sur le fait de « tenir tout le week-end ».

Un feuilleton en plusieurs épisodes

Tenir, nous ne savons pas comment ils font ces jeunes follement talentueux, ni le public ravi et fidèle, car il fait subitement très froid, mais la pièce marche comme un vrai feuilleton et l’on brûle derrière nos tremblements de connaitre la suite. Il est 16h et nous suivons le metteur en scène à travers les chemins du Centre sportif, retrouvant du soleil pour nous poser sur une plage ensoleillée également au bord de la rivière, où des sauveteurs font des exercices dans l’eau (gla-gla !) et où un buffet nous attend avec du thé noir chaud, des pommes et des gâteaux. C’est convivial, c’est joyeux, et parler avec les comédiens n’empêche pas de se remettre à entrer dans la pièce. Un des personnages se jette à l’eau, nous tournons la tête vers les bois : l’acte II commence et malheureusement nous devons partir… Nous aurons suivi bien trop peu du feuilleton, mais assez pour être emportés par cette expérience qui nous a immergés 4 heures dans Tchekhov et aussi pour savoir que nous suivrons avec une attention toute particulière le travail de Mathias Brossard.

La pièce se joue encore toute cette semaine, un acte par soir, à Genève : courez-y et prenez pull, pantalon chaud, bonnes chaussures et veste de ski.

Platonov, de Tchékhov, mise en scène : Mathias Brossard avec Romain Daroles, Robin Dupuis, Judith Goudal, Cécile Goussard, Magali Heu, Arnaud Huguenin, Lara Khattabi, Jonas Lambelet, Chloë Lombard, Loïc Le Manac’h, Adrien Mani, Mélina Martin, Alexandre Ménéxiadis, Leon David Salazar, Margot Van Hove, Composition musicale Loïc Le Cam, Costumes Marie Romanens, Régie générale Achille Dubau et Robin Dupuis, Administration et production Marianne Aguado – ISKANDA, Production La Filiale Fantôme et le collectif CCC.

Visuel © Joan Mompart

Infos pratiques

“Dictionnaire amoureux des écrivains et de la littérature” de Pierre Assouline
À la Philharmonie de Paris, Jane Birkin chante Gainsbourg et « Oh ! Pardon tu dormais ! »
Avatar photo
Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration