Noire, le racisme en réalité augmentée au Centre Pompidou
Savoir n’est pas comprendre. Pour comprendre, il faut ressentir au fond de soi. Et pour ressentir au fond de soi, il faut s’immerger vraiment dans une histoire, dans un fait. C’est exactement ce que propose le Centre Pompidou avec Noire, cette installation immersive de Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud d‘après Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin de Tania de Montaigne paru aux éditions Grasset 2015.
« Prenez une profonde inspiration, soufflez, vous êtes désormais à Montgomery dans l’Alabama des années 1950. »
En 2015, Tania de Montaigne a raconté dans un livre coup-de-poing l’histoire de Claudette Colvin, 15 ans, qui le 2 mars 1955 refuse de céder son siège à une passagère blanche dans un bus. Neuf mois plus tard, Rosa Park fera le même geste. Pourquoi le geste de l’une a effacé celui de l’autre ? Pourquoi dans un cas cela n’a rien changé et dans l’autre, cela a mis fin à la ségrégation dans l’Alabama ?
La proposition de Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud balaie d’un coup de technologie tout ce qui a déjà été fait en matière de Réalité Virtuelle au théâtre. Dans l’avant-garde performative, les artistes tels que Simon Sen ou Laurent Bazin n’ont pas attendu pour utiliser des casques ou de l’IA, et avec beaucoup de pertinence. Mais Noire est autre chose. En compagnie de neuf autres participant.es, vous êtes invité.es à laisser vos vestes et sacs aux vestiaires. Vous voici autour d’une table. Devant vous se trouvent un casque léger et des écouteurs. Vous vous équipez et vous entrez dans un espace où quelques éléments de décor sont posés. Il y a des bancs, un grand écran, des pièces…
Étonnamment, ce dispositif très technique est léger, et surtout, il est très charnel. Ce n’est pas un gadget, c’est un procédé qui fait avancer le récit. Ce casque s’appelle un HoloLens 2 et il a été conçu par Microsoft. Il permet de faire apparaître des hologrammes dans le champ de vision de l’utilisateur, et s’accompagne d’un casque audio à conduction osseuse.
Nous voyons ainsi apparaitre les personnages de cette histoire vraie. Ils prennent vie devant nous. Ce sont des hologrammes à taille humaine. Nous voyons Claudette Colvin monter dans ce bus et dire silencieusement : non.
La loi est la suivante : si un blanc entre dans un bus, le noir doit lui laisser sa place. Les éléments de contexte sont glaçants. Nous voyons des fontaines pour blancs et pour noirs, des portes de sorties pour blancs et pour noirs. Nous devenons cette injustice, nous la ressentons. Le texte de Tania de Montaigne est clair, proche du conte.
Au fur et à mesure, on comprend que Claudette Colvin connaissait Martin Luther King et Rosa Park et l’on comprend surtout, glacés, la discrimination qu’elle a elle-même subie dans sa communauté. Elle n’était pas la bonne icône. Trop noire, trop frisée, trop mère malgré elle à 15 ans. Rosa Park a débordé de son existence et de son nom. Il est synonyme de liberté.
La sensation d’être en compagnie des personnages est étourdissante. On s’assoit à coté d’elle dans le bus, on regarde avec mépris ces blanches hautaines qui nous surplombent.
Noire laisse dans la bouche un goût d’injustice et une colère, et l’envie de mieux connaitre Claudette Colvin. Figurez-vous que cela est possible puisque le 20 avril à 19H dans le Forum du Centre Pompidou, Tania de Montaigne présente cette création en discussion avec la militante Claudette Colvin (depuis les États-Unis) et sa sœur Gloria Laster. Entrée libre!
Installation activée du 21 avril au 29 mai. Le nombre de places est limité à 10 spectateurs par créneau. Chaque session dure 45 minutes. Informations et réservations ici.
Visuel : affiche