Liliom “beaufisé” par Galin Stoev
A la Colline, le bouleversant chef-d’œuvre méconnu en France du dramaturge hongrois Ferenc Molnar souffre d’un traitement désinvolte de Galin Stoev et se trouve dépourvu de la moindre émotion.
Si la pièce de Molnar se passe dans une fête foraine, Galin Stoev la transpose dans l’espace clos et indéfini d’une arrière-salle de bar avec au fond une estrade rehaussée digne d’une salle des fêtes miteuse de village reculé. Pas de manège donc, ni de baraque à frites ni de stand de tir, mais d’étranges créatures déguisées comme pour le carnaval (un Pharaon, plusieurs animaux, une fée Disney, des oreilles de Mickey, le poisson Nemo, des anges efféminés, un gros matou noir qui boit bières sur bières) qui tendent à rendre loufoque et faussement festif ce cadre impersonnel sans séduction.
Liliom est bonimenteur de foire. Il se fait virer du manège dans lequel il travaille. C’est un sale type mais il séduit toutes les filles. Elle s’appelle Julie, une jeune femme simple et naïve, impressionnée par la liberté du vaurien, brut de décoffrage mais attachant. Ils tombent amoureux, s’installent ensemble, puis, elle attend un enfant de lui. Sans travail ni argent, il devient violent avec elle et voyou. Il se laisse entraîner par un ami, malfrat à la petite semaine, à commettre un braquage nocturne. L’affaire tourne mal. Arrêté par la police, Liliom se poignarde au ventre, préférant la mort au reste de ses jours en prison.
Comme chez Horvath dont Molnar est l’aîné, l’intrigue tient du fait divers. Mais Molnar va plus loin que le dramaturge de langue allemande en proposant dans une deuxième partie complètement déréalisée de la pièce, l’arrivée de son personnage éponyme dans les Cieux et le jugement qui lui est fait par les détectives de Dieu. Après avoir purgé sa peine au purgatoire, Liliom demande à redescendre sur Terre pour rétablir sa vérité et s’occuper de son enfant. Insauvable, ses démons ressurgissent, il redevient violent.
La pièce est belle et déchirante car elle est proche de la vie et décrit avec justesse et profondeur l’existence désespérante de gens modestes, dans la détresse, bien jeunes et déjà abattus par la vie et sans avenir car confrontés au chômage, à une pauvreté autant matérielle qu’intellectuelle, à la brutalité du quotidien, à la difficulté d’aimer, à la désillusion, à la marginalité… d’où la grande actualité de cette pièce créée en 1909 qui résonne âpre. Cette modernité-là est donnée à voir grâce à une adaptation triviale mais bien d’aujourd’hui qui convient.
Pourtant, de ce drame existentiel, Galin Stoev ne livre qu’une lecture survolée et dérisoire, emballée dans des couleurs acidulées sans restituer toute la mesure de son intensité dramatique, ce qui est bien regrettable. Les personnages sont dessinés à gros traits et ainsi privés d’une réelle consistance, d’une réelle épaisseur humaine. Seule tire son épingle du jeu Marie-Christine Orry en patronne du manège et dans le rôle secondaire mais très drôle de la vieille logeuse photographe aigrie.
Sans cruauté, sans douleur, sans empathie ni compassion sincère, sans émotion forte, le spectacle devient désolant et tombe à plat.
Photo © Elisabeth Carecchio