
Le manifeste politique abracadabrant de Sylvain Creuzevault à l’Odeon, théâtre de l’Europe.
Le metteur en scène associé à l’Odeon s’empare du monologue du Grand Inquisiteur, point de départ d’une farce philosophico-politique.
Creuzevault se plonge dans Fiodor Dostoïevski
Il avait créé en mode foutraque une pièce autour des Démons de Dostoievski. A l’Odeon, en préambule à son adaptation en novembre prochain de Les Frères Karamazov, Syvain Creuzevault a choisi d’ajouter, au vu de la crise sanitaire, Le Grand Inquisiteur, un des chapitres des Frères Karamazov revisité version burlesque et gore. Le long monologue philosophique où le frère ainé Yvan Karamazov imagine pour son jeune frère candide Aliocha le retour du Christ au milieu de l’inquisition, devient un spectacle entre Rocky Horror Picture Show et un séminaire underground. Le Christ y est reconnu comme le messie tandis que le vieil inquisiteur dresse un réquisitoire contre cet homme qui réalise des miracles. Le sacrifice Christique et la cardinalité de l’amour de son prochain font place à la centralité de la liberté individuelle. Sous le regard d’un pape déboussolé se pose l’arbitrage entre liberté individuelle et sécurité, rappel de nos dilemmes d’aujourd’hui. L’ensemble est verbeux, un peu lourd d’autant que c’est la traduction d’André Markovitz qui a été préférée à celle plus mélodieuse de Henri Mongault.
Auschwitz serait une question
Au deuxième acte, Creuzevault tient une conférence de science politique où il confronte le grand Inquisiteur au Penser est fondamentalement coupable d’Heiner Müller ; il place les mots de Dostoïevski dans la bouche de Staline, Marx, de Thatcher ou de Trump. Entre deux pitreries, nous sommes édifiés que Auschwitz est l’autel du capitalisme, que le communisme est un individualisme, que le capitalisme est un collectivisme et qu’enfin la découverte de la solitude consubstantielle à nos existences fut offerte vertueusement par le communisme. Le manifeste est étrange, parfois sauvé par une danse folle des personnages défendue par des comédiens à la tâche.
En moins de deux heures bien bavardes, Sylvain Creuzevalt nous aura fait rire de ses trouvailles scéniques et des clowneries de ses comédiens. A la fin nous devrons comprendre que le vrai prophète n’est pas Jesus Christ mais Karl Marx, un théâtre burlesque pour initiés.
Le Grand Inquisiteur
d’après Fédor Dostoïevski
Mise en scène et adaptation Sylvain Creuzevault
Théâtre de l’Odéon
Crédit Photo Simon Gosselin