Théâtre
“L’Augmentation” de Georges Perec au Théâtre 14 : jubilatoire !

“L’Augmentation” de Georges Perec au Théâtre 14 : jubilatoire !

07 January 2023 | PAR David Rofé-Sarfati

Anne-Laure Liégeois reprend au Théâtre 14 son adaptation de L’Augmentation de Georges Perec. Le moment est inoubliable de drôlerie. Lorsque le théâtre français fier de lui emmène les foules.

Ils sont deux assis face à nous, les coudes plantés dans une table de bureau monotone. Un homme, une femme, coupe parfaite grâce à l’artifice d’une perruque de circonstance et accoutrés comme on s’habille dans les grandes entreprises lorsque l’on veut porter sur soi son sérieux, sa rigueur, son ambition, ses rancœurs et ses désillusions aussi. Ils nous fixent, plusieurs minutes, regroupant leurs forces, concentrant leur esprit. Le public rit déjà. Il ne s’arrêtera plus. 

 

L’Augmentation, c’est la longue et vibrante préparation mentale sans fin de deux employés modèle qui veulent obtenir une augmentation. Pour obtenir une augmentation, il faut d’abord parcourir un long couloir percé de trous, il faut que la secrétaire du chef de service soit là et de bonne humeur, que le chef de service soit là aussi, qu’il entende quand on frappe et dise d’entrer, qu’il propose un siège, qu’il écoute, se laisse convaincre, jusqu’à concéder l’augmentation, du moins qu’il en parle à son tour à son chef de service…

Ou bien

La langue de Perec est merveilleuse, elle boucle, elle frisotte. Son art de jouer avec les mots nous plaque au siège, sourire aux lévres. Les deux comédiens savent que si elles se répètent, les phrases ne sont jamais tout à fait les mêmes. Qu’un chemin doit être parcouru. Ils respectent et restituent toutes les nuances de la partition à la façon d’une fugue musicale. On pense à Marthaler pour la clownerie, on pense à Tchekhov pour son humour inoculé dans le discours, on pense aussi à Molière et sa fameuse tirade du prof de philosophie, du Ou bien : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ». Ou bien : « D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux ». Ou bien : « Vos yeux beaux d’amour me font, belle Marquise, mourir ». Ou bien…  Le texte de Perec, membre emblématique de l’Oulipo, l’Ouvroir de littérature potentielle, est de cette tradition et de ce métal.

Une interprétation rare

De toutes ses nuances comme de la qualité invisible de la construction littéraire, on y comprendra un peu quelque chose, une fois la représentation achevée. C’est seulement après les dizaines de bravos lancés par le public que l’on s’avouera d’avoir entendu un texte immense. Durant la pièce, nous savourons chaque mot dit, chaque mouvement calculé. Ces deux-là sont d’un très haut comique. Olivier Dutilloy et Anne Girouard dépassent ici le niveau atteint par les plus grands, ils se situent au-delà de nos habitudes. Ils sont étranges de virtuosité. A ceux qui sont sensibles à la qualité du jeu, la performance est rare, quasi unique. Inoubliable.

L’Augmentation

Texte : Georges Perec

Mise en scène et scénographie : Anne-Laure Liégeois

Avec Olivier Dutilloy et Anne Girouard

 Crédit photos : Christophe de Raynaud de  Lage

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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