
La vie dans les plis au Théâtre des Amandiers : et le surréalisme est théâtre
Du théâtre sur une pensée. Voilà une tendance qui se place dans l’air du temps. Après Christophe Honoré qui a fait revivre le Nouveau Roman, c’est au tour du duo Blandine Savetier et Thierry Roisin d’incarner la pensée et les textes d’Henri Michaud. Un spectacle brillant qui ne donne qu’une envie : lire TOUT Michaud. Courez-y !
Dans une grande maison on imagine une cour, avec au centre un drôle d’ascenseur venant des bas-fonds et tout en haut de nombreux musiciens au balcon, en majesté. Sur les murs de part et d’autre des passages prennent des formes géométriques. Mais à quoi donc peut bien servir ce long interstice fiché à cours ? On aura la réponse, surprenante. Le surréalisme est déjà là avant que la pièce ne débute. Ce décor sans originalité en apparence regorge de trouvailles. C’est là que surgit la première opposition : ce que l’on croit voir et ce que l’on voit sont bien deux entités différentes.
Les comédiens surviennent par le sous-sol, tels des crevards de la mine. Ils viennent faire entendre les mots, les mots ardus, les mots doux, jamais dans le sens où ont les attend. Les mots de cet auteur hors norme, mal connu, qui a traversé le XXe siècle, écrivant en majorité des années 20 aux années 50. Croisant le dadaïsme, le surréalisme et le Nouveau Roman. En un mot : la frénésie.
On entend dans chaque verbe la folie, la drogue, la paranoïa. Dans un manichéisme délirant, les choses vont par deux souvent : le noir/ le blanc, des mariés accrochés à une pomme unique ou des “Dupond et Dupont” reliés par un bras. Ces duos se confrontent à d’infinies solitudes. Ici, une image de petite dame claire au visage chapeau, là, une autre entièrement cheveux. Aucune ne peut voir, regarder en face.
La folie s’installe, portée par un orchestre de free jazz qui peut la jouer hard rock quand il s’agit de mettre une distance avec une fête (de mariage donc), ici bien réalisée où la montée en puissance cherche à déranger avec brio.
Il y a une urgence de vie complètement empêchée ici. L’horloge est coincée sur minuit, est-ce qu’on est la veille ou le lendemain ? On entend “Je voudrais quoi que ce soit mais vite”.
Il serait idiot de ne pas se laisser porter par l’esprit de ce spectacle, surtout qu’un petit train parcourt le plateau en nous en conjurant : “Il est interdit de chercher à relever tel ou tel élément de pensée/ où s’y arrêter un instant/ encore moins à en prendre note/ à en rechercher l’empreinte (…)”.
Dans une direction parfaite, les délicieux comédiens (Marion Coulon, Olivier Dupuy, Sébastien Eveno, Frédéric Leidgens, Samuel Martin, Bruno Pesenti, Anne Sée, Irina Solano) se prêtent à un jeu difficile frisant avec délice le performatif puisque tous les dialogues sont en fait des monologues. Chacun entre en scène où intervient dans une scène déjà existante pour jouer de jambes multiples ou nous émouvoir aux tripes. Tous viennent simplement remplir le vide, troubler le réel pour le rendre acceptable dans un geste flamboyant sublimé par des costumes éclatants.
Après tout, se figurer avec raison que la vie peut se résumer aux plis qui ornent nos corps est trop dur à endurer. Le dire dans une scénographie et un jeu, associé à une lumière qui choisit de troubler la vue pour mieux nous mettre à l’écoute tient dans du grand art. Les surprises sourdent à chaque instant, l’exigence est totale, la facilité jamais employée.
La vie dans les plis est un spectacle radical mais totalement grand public. Bravo.
Crédit photo : Frédéric Iovino.