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Frédéric Maragnani sur le festival Solo : “On a toute une myriade de propositions qui donnent une réelle densité au festival”

Frédéric Maragnani sur le festival Solo : “On a toute une myriade de propositions qui donnent une réelle densité au festival”

10 March 2020 | PAR Julia Wahl

La troisième édition du Festival Solo, consacré au seul-en-scène sous toutes ses formes, commencera jeudi 12 mars et durera trois semaines. Frédéric Maragnani, le directeur du Théâtre de Chelles, et qui en est à l’origine, a bien voulu répondre à nos questions.

J’aurais aimé, pour commencer, que vous me parliez de la genèse de ce festival, puisque c’en est la troisième édition. Qu’est-ce qui a présidé au choix de se spécialiser dans le seul-en-scène ?

C’est la conjonction de plusieurs choses. La première, c’est que j’ai observé, dans mon travail de directeur de lieu et dans les différentes programmations où je pouvais aller, la multiplication des seuls-en-scène ces dernières années. En m’y intéressant un peu plus, j’ai rencontré des artistes de seul-en-scène très très différents, venus d’horizons différents également. Plus communément, quand on parle du seul-en-scène, on pense assez rapidement à tout ce qui est stand up ou humour. Or, j’ai rencontré des artistes de seul-en-scène qui ne venaient pas du tout de cet horizon-là, avec des parcours plus classiques comme le Conservatoire National ou d’autres écoles nationales. Toutes et tous m’ont dit à peu près la même chose, à savoir que le seul-en-scène qu’ils ont pu travailler dans leur carrière était un moment extrêmement important : c’est un moment où ils ont eu énormément peur et même la plus grande peur de leur vie, parce que, quand on entre en scène, on est 50 minutes-1h-1h30 avec un public et on n’est pas à l’intérieur d’une machine, mais on est sa propre machine. En discutant de tout cela, je me suis dit qu’il y avait un genre particulier, souvent méconnu parce que souvent associé à l’humour et au stand up, et je me suis mis à découvrir toute une série d’artistes qui venaient du conte, du récit, de la musique, des conférences et qui produisent toute une diversité et une richesse du seul-en-scène. La deuxième chose, c’est la particularité du Théâtre de Chelles, que je dirige depuis trois ans. Je suis aussi arrivé sur un théâtre et un territoire qui est la Seine-et-Marne. C’est un département qui fait quand même 47 % de l’Ile-de-France à lui tout seul, qui va de communes extrêmement rurales à des communes rattachées en troisième couronne à Paris et à la Seine-Saint-Denis, et je me suis posé la question aussi, en termes d’aménagement culturel du territoire, de la façon de toucher et converser avec l’ensemble des partenaires du département. Le seul-en-scène, donc le festival solo, était aussi un excellent moyen pour trouver un lien avec le territoire.

Sur la diffusion du seul-en-scène ces dernières années, n’y voyez-vous pas des considérations économiques ?

C’est sûr, ça joue. Il y a forcément des considérations économiques : il y a un seul interprète, donc c’est forcément moins cher. Après, ce que je dis souvent, c’est que ce n’est pas forcément moins compliqué. C’est même parfois plus compliqué que de recevoir un spectacle avec une mise en scène structurée, avec plusieurs artistes au plateau, parce qu’il y a des seuls-en-scène extrêmement élaborés, notamment au niveau de la lumière, du son… Je connais des conteurs qui travaillent dans ce sens-là. Ça peut parfois aussi occasionner des frais et des charges au niveau de la mise en place du spectacle. Donc, oui, c’est plutôt moins cher et ça se diffuse mieux, mais ce ne sont pas uniquement des gens qui parlent dans un espace nu sans lumière.

Pourriez-vous faire un panorama rapide des genres représentés ?

Il y a tout ce qui est lié à l’humour : c’est ce qu’on en connaît le mieux. La particularité du seul-en-scène, aujourd’hui, c’est aussi des gens qui n’en viennent pas forcément et qui portent leur propre parole. Par exemple, si vous allez sur le festival Solo de cette année, Le syndrome du banc de touche, de Léa Girardet, repose sur ce principe assez simple : elle a fait une école nationale et, les premières années de sa vie professionnelle, elle n’a pas énormément travaillé, d’où « le syndrome du banc de touche ». A un moment donné, elle a décidé de prendre en charge sa propre parole et de raconter son histoire de comédienne qui ne trouve pas de boulot. Il y a donc tout un panorama d’écritures d’aujourd’hui qui se font à partir des paroles réelles, directes, des personnes concernées. On a aussi tout ce qui concerne les conférences décalées, le conte, dont je découvre la richesse. Par exemple, Nicolas Bonneau, avec Qui va garder les enfants ?, est un conteur qui décide de parler de la parité dans la vie politique et qui fait toute une collecte de paroles, notamment des femmes politiques, sur comment concilier aujourd’hui une carrière politique et une vie de femme. On a comme ça toute une myriade de propositions qui donnent une réelle densité au festival.

A ce propos, vous travaillez avec la Maison du Conte de Chevilly-Larue ; avez-vous l’impression qu’on peut parler de genre émergent à propos du conte, qui se redéfinit actuellement ?

Moi, je suis assez novice et récent, justement, sur le conte. Il y a effectivement un ensemble de conteurs et de conteuses qui sont dans l’art de la parole et dans l’art du récit sans forcément se préoccuper des structures du conte traditionnel et qui sont totalement dans le genre du seul-en-scène.  

J’ai remarqué également dans votre programmation l’importance de la question féminine, avec Qui va garder les enfants ?,  mais aussi L’histoire du sexe pour les femmes ; est-ce que ça correspond à un choix de programmateur ou est-ce que ça correspond à la réalité des spectacles que l’on vous a proposés ?

Il y a plusieurs choses : ce sont effectivement des préoccupations tout à fait actuelles, avec un ensemble de propositions et de spectacles qui vont dans ce sens, de manière plus importante qu’il y a quelques années. Ensuite, ce qu’il faut aussi vous dire, c’est que le Théâtre de Chelles est à l’initiative de ce festival, mais il n’est pas tout seul : on travaille avec un ensemble de partenaires sur la Seine-et-Marne et sur l’Ile-de-France. La question est donc aussi de savoir comment, eux, font remonter leur désir de programmation et leur désir artistique. Dans ces propositions de programmation, peut-être parce que je converse avec des partenaires dont la plupart sont des directrices, remontent des spectacles qui sont des spectacles de femmes et/ou qui travaillent la présence des femmes dans la société.

J’ai cru comprendre que, de votre côté, vous vous intéressez particulièrement à la littérature et au texte, notamment avec le projet de la Bibliothèque des livres vivants. Est-ce que vous pouvez me parler de ce projet ?

Le livre vivant est un projet que je mène maintenant depuis presque dix ans. C’est un projet de littérature orale, c’est-à-dire que l’idée est de donner à entendre des livres et surtout de donner envie de lire le livre. Parmi les livres de cette Bibliothèque vivante, le principe est très simple : un acteur ou une actrice égale un livre. Donc, un acteur ou une actrice apprend un montage du livre par cœur, sur 40-50 minutes. Dans cette Bibliothèque, il y a aujourd’hui seize livres comme Madame Bovary, L’Etranger de Camus, Alice au pays des merveilles… et les deux derniers nés de cette Bibliothèque sont Nana et Extension du domaine de la lutte, qui seront présentés dans le cadre du festival Solo. Il ne s’agit pas de lecture, puisque les acteurs et actrices ont appris le livre par cœur, mais bien d’oralité, de paroles seul en scène face à un public. Les acteurs, non pas jouent les personnages de livres présentés, mais faut entendre, dans une mise en scène assez simple, la particularité de chaque écriture littéraire.

Nana et Extension du domaine de la lutte seront présentées lors du festival. Pouvez-vous m’expliquer ce qui a présidé à ce choix et la façon dont ils seront présentés lors du festival ?

Depuis déjà quelques années, j’ai choisi de donner à présenter un titre dit classique et un autre contemporain. J’avais très envie de travailler sur Nana depuis assez longtemps. Je me suis demandé « qu’est-ce qui peut faire écho, comme écriture d’aujourd’hui, dans une sorte de description d’une société à la dérive, qui est encore la société d’avant et n’est pas encore celle d’après ? » J’avais beaucoup aimé, à l’époque, Extension du domaine de la lutte, à un moment où Houellebecq n’était pas le personnage qu’il est aujourd’hui et même pas encore un personnage. J’avais le souvenir de ce livre, que j’avais trouvé juste, incisif, méchant, où je retrouvais une façon de faire une coupe transversale de la société, comme chez Zola. J’ai donc rapproché les deux textes.

Vous allez présenter une maquette du prochain volet de la Bibliothèque des livres vivants le 12 mars, La Freak. Est-ce que vous pouvez m’en parler rapidement ?

La Freak fait partie de la catégorie de spectacles dont je parlais tout à l’heure, d’acteurs et d’actrices qui ne viennent pas du tout du seul-en-scène, ni du conte. Sabine Pakora est une actrice qui vient du cinéma, qui a fait de la comédie musicale également et qui, à un moment donné, a souhaité écrire un texte sur sa vie de comédienne noire. Quand j’ai lu ce texte, j’ai eu très envie de l’aider à construire ce seul-en-scène. Il s’agira juste d’une lecture et d’une maquette, c’est vraiment notre premier stade de travail, mais c’est vrai qu’on est véritablement dans la catégorie de la comédienne qui porte sa propre parole et qui écrit sa propre parole.

Au vu du titre, il est difficile de ne pas faire référence au film…

C’est tout à fait clair. Sabine Pakora raconte comment elle est passée d’une famille assez riche en Côte d’Ivoire à une famille pauvre en France, parce qu’elle a été placée par la DASS, et c’est là qu’elle s’est aperçue qu’elle était noire. Il y a vraiment ces antagonismes au sein d’une même personne qu’elle essaie de mettre à jour pour en faire un projet artistique.

Pour en revenir au festival dans son ensemble, en quoi cette édition se distinguerait-elle des précédentes ?

C’est la mieux structurée sur l’ensemble des trois semaines et on arrive maintenant à construire un vrai partenariat, avec l’ensemble des partenaires sur le territoire, avec des spectacles en itinérance. Pour caricaturer à peine, il y a trois ans, il y avait douze lieux et douze spectacles, donc chacun tirait son petit feu d’artifice. Là, on commence à toucher du doigt quelque chose d’intéressant, c’est-à-dire qu’on permet aussi à des artistes de circuler parmi les partenaires du territoire du festival. C’est beaucoup plus fluide et, quand on travaille mieux avec des partenaires, il y a aussi des propositions qui sont plus réfléchies, qui sont plus riches et plus diverses. On a donc, je crois, une programmation qui passe par différents genres et styles du seul-en-scène, qui offre une vraie contenance à l’ensemble.

Visuel : affiche du festival

 

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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