
“Embrasse moi sur ta tombe”, une pièce édifiante et foutraque
Quelques rares tel Ahmed Madani (J’ai rencontré Dieu sur Facebook) ou Dominique Ziegler (La route du Levant) ont su présenter l’endoctrinement des fondamentalistes tel qu’il est vraiment. Le duo Jean-Daniel Mangnin et Maryam Khakipour continue l’entreprise d’explication et y ajoute la puissance littéraire de l’humour. C’est à ne pas rater.
Un texte décapant
Plusieurs pièces ont déjà traité de la question du djihadisme, toujours avec faiblesse, souvent avec complaisance ; on se souviendra par exemple de la pièce Djihad de Ismaël Saidi qui nous présentait des terroristes en de sympathiques, analphabètes et inoffensifs pieds nickelés issus d’une banlieue défavorisée. Le sujet est pourtant grave et sous l’indulgence des uns ou la parano des autres ne se cachent que le même mépris, la même condescendance et le même malentendu. Le djihadiste s’y résumerait en une image d’Épinal hors de nous. Il serait victime du capitalisme et du colonialisme ou un monstre génétiquement assassin. Les deux extrêmes dans ces raccourcis se rejoignant là pour un même racisme.
Embrasse moi sur ta tombe rompt avec ces facilités. Rappelons que Maryam Khakipour arrive à Paris en 1982, après avoir suivi les cours du Conservatoire d’art dramatique en Iran et un engagement politique comme actrice au Théâtre de la Ville de Téhéran. Avec Embrasse moi sur ta tombe, elle imagine d’abord un scénario fort et drôle. Puis adapté par elle et Jean-Daniel Mangnin, le texte devient cette pièce captivante entre réalisme et surréalisme.
L’humour aide au récit
Dans Embrasse moi sur ta tombe, et c’est le génie de l’intrigue, le loup solitaire n’est ni musulman ni même converti, il est un individu, grand dadais puceau et suicidaire corseté entre l’absence d’un père mort et le débordement d’une mère envahissante et incestuelle. Il sera aisément enrôlé par un recruteur pas plus musulman ni converti que lui, un petit lascar désœuvré en quête de ressources et d’absolu. La chaîne des responsabilités attrape les deux minables pour s’évanouir en Syrie ou ailleurs, là où des donneurs d’ordre orchestrent la guerre qui nous est faite. Il y a un ravissement supplémentaire dans l’intrigue que nous ne pouvons spoiler ; disons que la chute s’articule autour du retour délirant, hallucinatoire et sacrément comique du père.
Une interprétation ciselée
L’histoire est délicieusement noire. Pour la raconter, et naviguer entre tragédie et comédie, il fallait s’en remettre à des talents solides. Benjamin Wangermée qui joue le recruteur fascine de son pouvoir comique ; son jeu complexe et ambivalent nous aide à tout comprendre, à repérer le principe actif des catastrophes. René Turquois et Hélène Viaux incarnent avec précision leur personnage. Christine Murillo, une fois encore merveilleuse impressionne ; elle fait son show. En responsabilité de la charge comique, la comédienne assure. Elle est la couleur du spectacle qu’il s’agit de ne pas rater.
Embrasse moi sur ta tombe
Une pièce de : Jean-Daniel Magnin
Inspirée du scénario de : Maryam Khakipour
Mise en scène : Jean-Daniel Magnin, Maryam Khakipour
Avec : Christine Murillo, René Turquois, Hélène Viaux, Benjamin Wangermée
Durée 1H10
Au théâtre du Rond point jusqu’au 20 février.
Crédit photo ©Giovanni Cittadini Cesi