« Dispersion » à Versailles : pour Carole Bouquet et les silences de Pinter
Créée à l’Oeuvre, cette mise en scène de Gérard Desarthe est présentée pour trois soirs au Théâtre Montansier de Versailles, scène qui l’a coproduite. Carole Bouquet s’y révèle très convaincante. On s’attache aux mots, grâce à elle, et au traitement du silence, intelligent. Même si on ne parvient pas à atteindre un vertige qui nous transporterait, on écoute. Et certaines phrases acérées nous touchent.
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Avant les Célestins de Lyon, Dispersion vient semer son trouble au Théâtre Montansier de Versailles, dirigé par Geneviève Dichamp et Frédéric Franck. Dans son architecture à l’italienne vient s’insérer ce décor d’appartement sous des combles, blanc, moderne, et recouvert de phrases tapées à la machine. Décor que seuls des effets de lumière viendront bouleverser. Lueurs d’après-midi, puis de soir, lumières de réverbères, puis du jour suivant… Delvin et Rebecca, les deux personnages, qui semblent vivre en couple, restent enfermés un long moment. C’est que Rebecca parle d’un amant qu’elle a eu… Et d’une histoire violente…
Le passage du temps et l’épuisement ne se font pas trop ressentir. Gérard Desarthe, interprète du mari, reste trop sur la même note. Détaché et comme pressé, il ne pousse pas à ce qu’on s’attache à lui. Difficile d’être au four et au moulin, sur Harold Pinter… Sa mise en scène ne fait pas ressentir la profondeur du vertige traversé. Car les effets de la collision entre le passé de Rebecca, le présent et les blessures de l’Histoire ne sont pas rendus explicites. Aucune de ces trois dimensions ne s’incarne vraiment : la scène et les corps sont bien trop calmes. Le dialogue ne se constitue pas en récit. En revanche, le traitement du silence a du bon en ce qu’il crée un rythme. Au début, le bruit de machine qui se déclenche à chaque prise de parole irrite. Mais lorsqu’il s’arrête, et qu’une pause a lieu entre les interlocuteurs, on en vient à ressentir une tension. A guetter. A redouter qu’un mot sorte, et produise un effet dévastateur. Ce traitement de la matière textuelle paraît juste : on regrette que cette dernière ne donne pas naissance à un vrai récit.
Il n’y a plus, dès lors, qu’à observer comment Carole Bouquet le prend en charge, ce texte. Pas avec les accents éthérés qu’on lui connaît. Ici, elle est dans le concret des mots. Lorsqu’elle évoque, péniblement, son passé (fictif ?), elle prend son temps et se laisse happer. Sa voix déraille. Et on se représente ce qu’elle décrit. L’« agence de voyage », qui n’était sûrement qu’un entrepôt cachant des trafics… Les dimensions apparaissent. Etonnemment, on comprend Harold Pinter. Manque juste à la mise en scène un peu de chair, pour que l’on ressente l’esprit tourmenté du dramaturge…
Dates suivantes de Dispersion : du 12 au 24 mai 2015 à Lyon (Les Célestins).
Dispersion d’Harold Pinter. Mise en scène de Gérard Desarthe. Avec Carole Bouquet et Gérard Desarthe. Production : Théâtre de l’Oeuvre et Théâtre Montansier. Durée : 1h05.
Visuel : © Dunnara MEAS