Théâtre
Cosmos de Fernando Fiszbein

Cosmos de Fernando Fiszbein

02 May 2023 | PAR David Rofé-Sarfati

Pour son troisième opéra, Fernando Fiszbein a choisi Cosmos, le roman de Witold Gombrowicz, dans un livret qu’il a rédigé en collaboration avec Marie Potonet. C’est entouré des talents du metteur en scène Jacques Osinski et du vidéaste Yann Chapotel qu’il a enchanté la salle de l’Atelier.

Une combinaison de talents

On connaît Fernando Fiszbein pour la musique de Place publique et Au bout du conte, films d’Agnès Jaoui.  Né en Argentine en 1977, Fernando Fiszbein a commencé ses études musicales à l’âge de douze ans et possède un diplôme de guitare du conservatoire Juan José Castro de Buenos Aires. Parallèlement, il a étudié l’harmonie, le contrepoint, l’orchestration et la composition avec Gabriel Senanes. En 2000, Fernando Fiszbein s’installe en France et poursuit ses études de composition avec Ivan Fedele au CNR de Strasbourg, où il obtient le prix de composition mention très bien. Il obtient en 2010 le grade de Master un Conservatoire National Supérieur de Paris puis différents prix internationaux. Le trio composé de Fernando Fiszbein , du metteur en scène Jacques Osinski et du vidéaste Yann Chapotel fut déjà réuni en 2015 à l’Athénée – Théâtre Louis Jouvet, pour le premier opéra de l’Argentin Avenida de los incas 3518. 

Cosmos, un opéra prégnant

Dans Cosmos, musique, chant, théâtre et vidéo se combinent merveilleusement pour un spectacle intemporel. Deux acteurs, deux chanteurs et six musiciens mènent l’intrigue, sous la direction d’Alphonse Cemin. Le public est empoigné par cette création dense, riche de contrepoints, de césures et d’inhabituel au beau milieu d’un mélange de baroque et de contemporain. Il en a pour ses yeux et ses oreilles. Et pour son esprit ! Et voici comment : Le livre de Witold Gombrowicz tisse une histoire policière et psychanalytique au fil de l’errance du narrateur Witold et de son compagnon Fuchs.

Les deux étudiants quittent Varsovie pour passer un mois de vacances à la campagne dans une famille de la petite bourgeoise. Ce monde leur semble étrange. Ils iront à la rencontre du père, retraité farceur, amoureux des néologismes latinisants, de la mère épuisée aux nerfs à vif, de la fille, Lena, belle jeune mariée et de Catherette, la servante, affligée d’une déformation de la bouche. Le clan se situe entre grotesque et banal, entre étrange et familier.  Dès leur arrivée, les deux citadins s’étonnent d’un oiseau pendu à hauteur d’homme dans un fourré et d’une flèche dessinée au plafond. Ils décident d’attribuer à ses signes une vérité cachée. Tandis que Fuchs se met en tête de découvrir le mystère, Witold reste obsédé par le contraste entre la bouche hideuse de Catherette et celle, finement ourlée, de Léna, auxquelles il superpose l’image de l’oiseau mort. Les deux compères demeurent résolus à donner une cohérence à ces contingences, à donner une logique à ces faits isolés, à refuser coûte que coûte une tragédie du hasard en y donnant un sens, fut-il extravagant. 

Au-delà de l’origine

Gombrowicz aimait appeler son roman un roman sur la formation de la réalité sous la forme d’un récit policier. L’affaire s’articule autour du moineau pendu et de l’association des bouches de Catherette et de Léna. Les deux étudiants choisissent d’y lire un rébus obscur afin de déminer un chaos par une Idée qui mettra de l’ordre et donnera explication. Ils cheminent entre pièges intellectuels et logique paradoxale. Nous sommes au plus près des fonctionnements réflexe de l’inconscient et des tout premiers refoulements. Le phénomène anodin va devenir une obsession en ceci qu’il acquiert une valeur sémantique dans la répétition.

Nous sommes captivés par l’enquête des deux jeunes étudiants. Elle parle de nous. Car chacun de nous appréhende le monde par des associations successives et par l’impératif de verbaliser la réalité crue. La chute du spectacle est savoureuse : Devant le chaos du monde, seule une répétition privatisée des phénomènes assure une appropriation du tohu-bohu et légitime l’individu dans son existence même. 

Qui mieux que Osinski?

L’expérience du spectateur réside dans ce plaisir intense d’une construction autour du chaos et de l’émergence lente d’un ordonnancement logique. La musique de Fernando Fiszbein servie par des chanteurs formidables sert le geste en ce qu’elle opère la syncope et la boucle logique, telle d’une fugue. La création video Yann Chapotel est splendide, elle accompagne l’étrange et sait combiner cet étrange avec le faussement banal.

La lecture du texte par Jacques Osinski restitue le foisonnement du roman. Jacques Osinski riche de son long et intense compagnonnage avec les œuvres de Samuel Beckett sait rendre compte de ce collage de la plume de Witold Gombrowicz avec nos inconscients en marche. Un spectacle d’une richesse polymorphe. 

 

Cosmos

Composition : Fernando Fiszbein

Texte d’après Witold Gombrowicz

Mise en scène : Jacques Osinski

Scénographie, vidéos : Yann Chapotel

Lumières : Catherine Verheyde Costumes : Hélène Kritikos

Direction musicale : Alphonse Cemin

Comédiens : Grégoire Tachnakian, David Migeot

Chant : Léa Trommenschlager, Vincent Vantyghem

Crédit photo Affiche.

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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