
Christian Benedetti monte en son théâtre l’intégrale de Tchekhov
Christian Benedetti qui fut le premier metteur en scène en France à monter Sarah Kane d’Edward Bond, travaille et crée depuis 2010 autour de l’oeuvre de Tchekhov. Au fil des ans il a mis en scène toutes les grandes pièces du dramaturge russe. Pour l’intégrale, il y ajoute les pièces en un acte.
La première fois comme tragédie, la seconde comme farce
Anton Tchekhov aura bel et bien asséné jusqu’à son dernier souffle que ses pièces, en particulier La Cerisaie sont des comédies. Christian de Benedetti a exaucé Anton Tchekhov et restitue l’humour violent et doux à la fois aux accents slaves de ces farces philosophiques et sociales.
Pour l’intégrale, le metteur en scène, qui est aussi un charismatique bel homme, s’est arrogé les rôles de séducteurs : l’écrivain profiteur mais criant de vérité quand il décrit les affres de l’écriture dans La Mouette, le savant médecin philanthrope dans Oncle Vania, le charmeur et conquérant marchand Lopakhine dans La Cerisaie. C’est depuis ces rôles à la forte présence qu’il joue les chefs d’orchestres d’un ballet où le rythme est savamment mesuré. Il joue sur le débit du texte et l’on sourit souvent à écouter les répliques parfois comme slammées mais avec naturel. La comédie est vivante.
Le rythme parfait
Le théâtre ce n’est pas les mots interrompus par le silence, mais bien l’inverse : le silence interrompu par les mots. Benedetti nous invite à prendre Tchekhov au pied de la lettre : Il faut effrayer le public, c’est tout, il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus. La mise en scène est comme à chaque fois efficace et orientée vers le jeu des comédiens. Par une compréhension très littérale des pauses indiquées dans les didascalies, les personnages se figent parfois. Les changements de décor, signature de Benedetti, sont exécutés par la troupe au complet et devant le public. La mécanique fonctionne. On reconnaît la patte de Christian Benedetti et de Nina Villanova dans chaque décor, épuré et sans contours. Les personnages se croisent dans un ballet à la précision horlogère. Nos imaginaires sont convoqués par le truchement d’un presque rien, d’une armoire, d’un bureau, d’un lit d’enfant. Chez Benedetti, à la direction d’acteurs reconnue, l’adhésion de la troupe, si impliquée est grosse de la nôtre. Les faux semblants des personnages sont exposés dans toutes ces pièces qui parlent des relations entre les êtres, de leur socialisation toujours difficile ou empêchée. Par exemple, Christian Benedetti joue un Lopakhine qui lui-même interprète son personnage social, comme chacun de nous le fait lorsqu’il s’agit d’être soi même. C’est épatant.
Cinq pièces. d’Anton Tchekhov pour 137 évanouissements
Benedetti explique : L’évanouissement n’est pas une maladie. L’évanouissement est une arme de combat. L’évanouissement est le seul moyen de ne pas étouffer totalement, d’échapper à l’asphyxie.
Les tragédies de Tchekhov s’échapperaient ainsi du drame vers la comédie? Peut-être. L’expérience du spectateur est dans cet entre deux. Le plaisir intense construit par le metteur en scène est par ailleurs défendu par une troupe merveilleuse. Toutes les pièces de cet intégral sont à voir et à revoir. Les moments de grâce sont nombreux. Citons le moment où Lopakhine annonce qu’il a acheté la cerisaie par Christian Benedetti, les nombreuses tirades de Vania par un inoubliable Daniel Delabesse, le final des trois sœurs avec Olga interprété par une brillante Marilyne Fontaine, Irina jouée par Leslie Bouchet qui se demande dans les trois soeurs encore: Dites-moi : d’où vient que je me sens si heureuse aujourd’hui etc etc… La troupe est très homogène en qualité, ils ont tous formidables ; nommons-les : Brigitte Barilley, Leslie Bouchet, Olivia Brunaux, Stéphane Caillard, Vanessa Fonte, Marilyne Fontaine, Hélène Stadnicki, Martine Vandeville, Julien Bouanich, Baudouin Cristoveanu, Philippe Crubézy, Daniel Delabesse, Alain Dumas, Marc Lamigeon, Alex Mesnil et Jean Pierre Moulin, immortel Firs.
Le public lance des bravos sonores mérités
Intégrale de Anton Tchekhov
Nouvelles traductions
Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Laurent Huon, Daria Sinichkina, Yuriy Zavalnyouk
Scénographie et mise en scène Christian Benedetti
Collaboration artistique Genica Baczynski, Laurent Klajnbaum, Alex Jordan
Théâtre-Studio d’Alfortville
Du 9 mars au 24 avril : Ivanov, La Mouette, Oncle Vania, Trois Soeurs, La Cerisaie À partir du 11 mai s’ajouteront Les Pièces en un Acte, puis à partir du 18 mai Sans Père (Note de la rédaction : Platonov dans une nouvelle traduction).
Billetterie en ligne via ce lien : www.theatre-studio.mapado.com
Crédit photo ©Olivier Wittner