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Edwin Crossley-Mercer dans le “Winterreise” :  “Depuis mes 17 ans je n’ai pas remis un pied sur la scène de l’opéra de Clermont-Ferrand”

Edwin Crossley-Mercer dans le “Winterreise” : “Depuis mes 17 ans je n’ai pas remis un pied sur la scène de l’opéra de Clermont-Ferrand”

23 March 2022 | PAR Yaël Hirsch

Samedi 26 mars, le baryton Edwin Crossley-Mercer accompagné par le pianiste Yoan Héreau interprètent le célèbre Winterreise de Schubert à l’Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand. Une oeuvre qu’ils ont enregistrée chez Mirare. Ce concert dans sa ville d’origine est l’occasion pour Toute La Culture de faire le point avec le chanteur qui a fait ses classes de Lieder à Berlin, qu’on a du mal à suivre sur les scènes d’opéras du monde entier et qui a créé  l’an dernier son propre festival dans l’Ariège : Castel Artès.

Qu’est ce qui fait que le Winterreise et son romantisme nous parlent aujourd’hui ?

Vous posez presque la question de l’intemporalité d’une œuvre …
Le Winterreise nécessite d’avoir certaines clefs de lecture : la connaissance du texte ou d’une traduction afin d’apprécier la poésie chantée. Connaître Schubert n’est pas une prérogative indispensable, je pense que l’on peut être saisi de l’intensité du cycle dès la première écoute.
L’introspection à laquelle est forcée le narrateur après un amour trahi et son cheminement dans une nature hostile qui reflète ses états d’âme me semble intemporel…
Les troubadours chantaient déjà leurs tourments, je pense que Winterreise n’échappe pas à la règle du personnage itinérant qui chante sa peine.
Même si le contenu est sublimé musicalement par Schubert et que Müller le poète est une quintessence du « romantisme », un « style du passé », ce sont des thèmes universels.
S’enfuir pour mieux souffrir, quoi de plus moderne !

Pour votre voix de baryton basse, est-ce que le genre du Lied est un passage obligé, quel est l’enjeu sur la prononciation et comment l’avez-vous étudié ?

Je ne peux concevoir mon répertoire sans les compositeurs de mélodies et de Lieder. Certes, il y a l’opéra, mais le monde du Lied possède tant de facettes d’expression et renferme des œuvres géniales. Passer à côté de ces cahiers entiers de mélodies et de la rencontre avec un pianiste qui tient une partie quasi soliste, serait ignorer un pan entier de la culture vocale classique.
Je suis parti en Allemagne pour étudier le répertoire des Lieder. J’ai eu la chance de rencontrer de merveilleux professeurs qui m’ont soutenu et permis de découvrir et d’ essayer de nouvelles pièces en rapport avec votre voix. Mes leçons avec Julia Varady, Dietrich Fischer-Dieskau, Reiner Goldberg, Heinz Reeh, Wolfram Rieger et tant d’autres à Berlin m’ont fait aimer et chérir ce répertoire.
Il m’a fallu d’abord parfaire mon allemand et continuer à apprendre la technique vocale. Bien sûr, la prononciation est complexe en allemand. Il y a beaucoup de consonnes qui font obstacle à une ligne de chant simple.
Imaginez la ligne musicale sans les paroles – la mélodie si vous voulez – elle a une vie indépendante qui est en rapport immédiat avec l’accompagnement pianistique.
Il faut tâcher de rendre cette ligne aussi belle avec les paroles, tout en veillant à ce que le message de musique pure ne soit pas dérangé par un texte. Et à l’inverse, il faut délivrer un texte comme au théâtre, sans être gêné dans sa spontanéité par les exigences purement vocales.
C’est un équilibre passionnant à trouver et je l’étudie encore tous les jours.

Parlez-nous de l’équipe que vous formez avec Yoan Héreau ?

J’ai rencontré Yoan à la folle journée de Nantes en 2018 si mes souvenirs sont bons… Le voyage d’hiver était notre première collaboration et depuis, nous avons déjà donné de nombreux concerts ensemble, en France, en Allemagne, au Japon…
Je suis très attaché au dialogue musical, tant pendant les répétitions qu’au concert. Ne jamais être figé et toujours vouloir refaire, mieux, différemment, spontanément… C’est un peu une condition donnée d’avance, puisque deux concerts ne se ressemblent jamais… Mais il faut pour cela être ouvert au dialogue, à la ré-interprétation. Yoan écoute le moindre changement, la moindre différence et adapte son jeu à mon rythme. J’ai beaucoup de respect pour son talent pianistique mais surtout pour son aptitude à dialoguer.

Qu’est-ce que cela vous fait de jouer à Clermont-Ferrand, dans la ville où vous êtes né ? Quel est votre rapport à cette ville et à cette région ?

Pendant mes études au conservatoire et au lycée, et à l’époque où les chœurs à l’opéra étaient renforcés par l’ensemble vocal du conservatoire, j’ai participé à deux spectacles : la Grande Duchesse de Gerolstein et une œuvre contemporaine en portugais.
Ce fut révélateur pour ma passion ! Michelle Command chantait la grande Duchesse et je crois même que Gabriel Bacquier était le général Boum. Preuve qu’un artiste peut toujours faire rêver les autres à en devenir un aussi.
J’avais 16-17 ans et depuis je n’ai pas remis un pied sur la scène de l’opéra de Clermont-Ferrand.
Plus de 20 ans plus tard, je suis très heureux de revoir cette salle et mon émotion sera certainement forte, tant à cause de la nouvelle jeunesse de « graines d’artistes », à qui ce concert est dédié mais aussi parce qu’il y a un lien avec ma famille : ma mère y peignait des décors de théâtre et mon grand père présidait les Amis de la musique qui existe encore à ce jour et fait une belle saison de concerts de musique de chambre. Mon père a aussi joué de la guitare pendant les folles années de son groupe de folk qui avait des dates dans la région dont une à l’opéra de Clermont avec le grand guitariste Marcel Dadi.
Après plus de 15 années passées entre Paris et Berlin, je suis revenu m’installer « à la campagne » dans le Livradois. Je suis très heureux de partager un moment musical avec tous ces amis qui viendront voir le concert et de revoir la salle de l’opéra qui était mon premier contact avec ce qu’est devenue ma vie.
Quant à l’Auvergne, je n’ai jamais cessé de l’aimer : ses randonnées étaient un pèlerinage pour moi pendant de nombreuses années, un peu comme le voyageur de notre concert !

Les fonds iront à « graines d’artistes » dans le cadre de « Passerelles » qui permet de familiariser des adolescents avec la musique. Intervenez-vous dans ce type de programme de démocratisation de la musique ?

Samedi dernier, j’ai pu rencontrer et échanger pendant une heure avec les enfants et adolescents de l’ensemble instrumental, tous soutenus par l’association « graines d’artistes ». C’était un moment plein de curiosité de leur part, de discussion ouverte et sincère sur le métier de musicien et sur la musique en général. J’espère avoir pu inspirer certains d’entre eux à travailler davantage leur instrument et à continuer leurs études par amour de la musique. À titre personnel, ce dialogue était un moment très fort pour moi, aussi d’échanger avec les parents d’élèves pleins d’espoir pour leurs enfants et d’ouverture vers le monde musical classique.
Les fonds récoltés par le concert de samedi permettront à ce groupe de faire un voyage et de participer à un stage de musique cet été. Cela me fait chaud au cœur de savoir que ce concert organisé par le Rotary, soutiendra l’enseignement et la jeunesse.
Je donne régulièrement des « masterclass » de chant dans des conservatoires qui m’invitent et j’anime une académie lyrique dans le cadre du festival Castel Artès que j’ai fondé l’année dernière à Mirepoix. Mais personnellement, je n’interviens que trop rarement auprès de la jeunesse musicale, et j’aimerais pouvoir en faire davantage. Il y a bien des sessions « scolaires » à l’opéra, mais enseigner et suivre un groupe de jeunes musiciens ou chanteurs nécessite d’avoir beaucoup de temps car c’est une responsabilité immense, à tous âges.

Quels sont vos projets ? Parlez-nous de vos prochains rôles et de cette 2e édition de votre festival.

Quelques concerts m’attendent ce printemps et je serai à Aix en Provence pour le festival d’été dans Moïse et Pharaon de Rossini que nous reprendrons à l’opéra de Lyon en hiver. L’année prochaine je chante mon premier Tannhäuser de Richard Wagner au festival de Salzbourg aux côtés de Jonas Kaufmann et Elina Garanca.
La seconde édition de mon festival Castel Artès se déroule dans la charmante ville de Mirepoix en Ariège, du 11 au 18 août avec trois concerts de musique de chambre, un opéra baroque, une soirée de danse classique et un concert de musique médiévale. Le programme sera disponible sur castelartes.com très rapidement ! Le tout avec une académie de chant qui accueillera des grands noms du classique pour enseigner. C’est le projet phare de ma saison et j’avoue que cela me passionne d’organiser un festival !

visuel (c) Julien Benhamou

Billetterie pour le concert du 26 mars  : Office du Tourisme de Clermont-Ferrand

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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