Théâtre
Celle que vous croyez Camille Laurens / Jessica Gazon : Ou c’est ce que j’écris qui m’apprend à vivre !

Celle que vous croyez Camille Laurens / Jessica Gazon : Ou c’est ce que j’écris qui m’apprend à vivre !

20 January 2020 | PAR Sylvia Botella

Retours sur l’incroyable adaptation théâtrale de l’autofiction « Celle que vous croyez » de Camille Laurens par Jessica Gazon. Parce que la vie est triviale. Et qu’il ne reste précisément que l’écriture pour nous faire regarder la vie autrement. Et nous convaincre de continuer d’avancer.

Tout doucement, « Celle que vous croyez » commence par un travail à table : l’actrice Valérie Bauchau met son texte en bouche, la metteure en scène Jessica Gazon donne des consignes, les techniciens s’affairent, les problèmes de son et de vidéo s’accumulent, etc. La première scène prouve par la mise en abîme – le théâtre est dans le théâtre – la puissance créatrice du théâtre quand il est dans de bonnes mains. Puis, très vite, la pièce de théâtre bascule dans une sorte de extra non-lieu où tout coexiste : Facebook, Google, la (auto)fiction, la tyrannie du réel, le désir, l’autrice, l’avatar/héroïne, la femme de 50 ans. La force de l’œuvre de Camille Laurens adaptée au théâtre de manière complexe et terriblement saisissante par Jessica Gazon naît du fracas de ces éléments « contraires ? » où les barrières du réel n’ont plus cours. À moins que ce ne soit celles de la fiction ? Ou bien les deux ?! Jessica Gazon y trouve un passage secret qui mène à un (méta)théâtre où les spectateurs sont souvent assis dans la lumière, les yeux grands ouverts face à l’histoire de Claire Millecam qui vient et celle de Camille qui revient. Millecam est l’inversion autofictionnelle de Camille (Laurens).
Ici, tout s’inverse. Facebook est du côté de la vie (le désir nait entre la jeune femme brune Claire Antunes, 24 ans – avatar de Claire Millecam – et Chris, le photographe trentenaire encore teen), tandis que le réel est du côté de la mort (pour la cinquantenaire, c’est : va mourir ! Et va pourrir en miettes dans la dépression !). Peu d’œuvres ont le courage de questionner ainsi les spectateurs, les femmes autant que les hommes. Et les faire basculer dans l’exploration des bas-fonds de leurs lâchetés et les murmures honteux de la société qui deviennent destructeurs : « les femmes vieillissent, les hommes mûrissent » ; « marche à l’ombre et va mourir ».
Il ne faudrait cependant pas croire que « Celle que vous croyez » est une pièce de théâtre souffreteuse et pleine d’emphase. Non ! C’est même le contraire. Si l’histoire est tragique, banalement tragique et ravageuse – la femme de 50 ans devient ce corps en trop ! -, elle n’est jamais sinistre. Rien n’est plus contagieux que les phrases de Claire Millecam. Elles sont de belles claques qui n’autorisent aucun échappatoire. Le geste de Jessica Gazon qui se construit à vue sur le plateau, ne surplombe jamais les spectateurs. À l’instar de Camille Laurens, Jessica Gazon n’est pas une donneuse de leçons, elle préfère définitivement l’inquiétude à l’oubli.
Il faut évoquer aussi le jeu solaire, inflammable, vif et piquant de Valérie Bauchau (Claire Millecam / Camille). Et son corps si nécessaire à la métamorphose, qui rajeunit, qui vieillit, qui re-rajeunit et qui re-vieillit, et qui est constamment rendu à sa vérité nue sur le plateau de théâtre comme dans la fascinante image/cinéma (Gaëtan d’Agostino) ! #smiley #serrelesdents #vapiano C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre la scène où Claire Millecam danse sur la musique techno/mauvaise descente : « à force d’être cogné à coups de mots », son corps est devenu sans organes. Et c’est certainement de Valérie Bauchau – EXTRAordinaire ! – et aussi de Gaëtan d’Agostino, Quentin Marteau et Benjamin Ramon (magnifiquement justes) que naît la beauté captivante, lancinante et lucide de « Celle que vous croyez » : parce que la vie est parfois dépourvue de sens – elle peut nous étourdir. Et qu’il ne reste précisément que l’écriture pour nous faire regarder les chocs autrement que du côté du réalisme et de la psychologie. Et nous convaincre d’avancer. #tunemedonneraspashontedevivre

Check :
« Celle que vous croyez « / Camille Laurens / Jessica Gazon du 14/01au 1/02 au Rideau de Bruxelles ; le 6/02 au Centre Culturel de Verviers.

Visuel : Crédit photo : Alice Piemme / AML

Dans Oncle Vania à l’Odéon, Stéphane Braunschweig brosse avec virtuosité et bienveillance la destructivité de l’homme
Dany Laferrière au sujet de l’Autre Festival à Avignon : “Etre parrain permet de rester proche de ce qui se fait”
Sylvia Botella

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration