
Baldwin and Buckley at Cambridge : Black Lives Matter au Festival d’Avignon
Le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir américain?? Place au débat dans une leçon d’acting à la new-yorkaise au Festival d’Avignon !
Le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir américain??
Nous aimerions tellement que la réponse soit évidente. En 1965, tout comme en 2023, à Cambridge comme à Nanterre, on sait que ce n’est pas le cas. La compagnie Elevator Repair Service réactive le débat surréaliste qui a opposé James?Baldwin, écrivain, et William?F. Buckley?Jr., intellectuel conservateur. Le public est installé en trip-frontal. Nous sommes dans une proximité totale avec les acteurs.
Greig Sargeant est Baldwin, massif. Ben Williams est une caricature de nazillon. Le face-à-face est total dans un jeu extrêmement théâtral. Nous sommes plus proches de la relation que Julie Deliquet entretient avec le théâtre documentaire que du reenactment d’Émilie Rousset. Les deux acteurs, secondés chacun dans leur camp par Gavin Price et Christopher-Rashee Stevenson, se livrent à une délicieuse joute verbale pour les spectateurs et les spectatrices.
Racisme endémique
Quand Baldwin prouve par A+B que ce sont les Noirs qui ont construit l’Amérique et qui ont permis au rêve américain de se réaliser, les propos se font lyriques. En face, la froideur du conservateur qui nie totalement le racisme structurel propre au pays glace le sang.
Évidemment, la rhétorique qui nie l’injustice nous ramène, européens, à l’état de notre civilisation et à notre incapacité à la faire évoluer. Pire encore, plus les démocrates essaient de changer les choses, plus elles empirent. Plus tard, dans la pièce, l’épouse de Baldwin dira : « Le poids de l’impatience est insupportable. » Il y a de quoi être impatient. C’est insupportable « d’être un être humain sans valeur », dit Baldwin.
« Un être humain sans valeur »
Même si la proposition soufre d’un jeu classique qui détonne dans la proposition de formes aux radicalités toutes plus folles les unes que les autres dans ce festival, on ne peut rester insensible à la concordance des temps. Combien de George Floyd, de Jayland Walker là-bas ou d’Adama Traoré ici, tués uniquement en raison de leur couleur de peau ? Cela fait une belle tache sur l’American Dream, n’est-ce pas ? Ensuite, exactement comme dans Catarina et la beauté de tuer les fascistes de Tiago Rodrigues, la parole du fasciste irrite jusqu’à une colère vaine, qui, ici, reste néanmoins contenue.
Bonne nouvelle tout de même, si vous l’aviez oublié : en 1965,? les étudiants de Cambridge ont répondu « oui » sans équivoque à cette même question, « le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir américain?? ». C’est un début…
Du 1er au 3 mars 2024, Cal Performances, Berkeley (USA)
Visuel : ©Joan Marcus