Théâtre
A la Mousson d’été, Charles Berling saisi par le texte du jeune Valérian Guillaume.

A la Mousson d’été, Charles Berling saisi par le texte du jeune Valérian Guillaume.

22 August 2020 | PAR David Rofé-Sarfati

Il pleuvait ce soir-là à l’abbaye des Prémontrés, mais une certaine chaleur s’est lentement diffusée pour y régner au sein du public réfugié au fond de la promenade des chanoines autour de Charles Berling pour entendre le texte adapté de son premier roman du jeune auteur Valérian Guillaume : Nul si découvert.

Il salive devant les produits alignés sur les rayons du supermarché. Il prie pour être le gagnant d’un jeu-concours organisé par une marque de nourriture mexicaine. Il adore lorsque les vigiles le palpent à l’entrée du magasin. Il se jette sur les distributeurs de friandises, les buffets en libre-service et les stands de dégustation.Il sue à grosses gouttes et rit lorsque l’on se moque cruellement de lui. Habité par ce qu’il appelle son démon, affrontant cette chose étrange autant que familière il cherche compulsivement la chaleur humaine dans les allées du centre commercial. Lorsqu’il croise Leslie à l’accueil de la piscine, sa vie trouve un sens ou du moins son esprit trouve une chaude rumination. Leslie est un ange, une fée qui le rend fou d’amour. Pour la conquérir, il lui faudra lutter contre le démon qui s’empare de lui dans les pires moments. Il luttera sans y croire contre cet empêchement névrotique étrange et ses symptômes. Nul si découvert nous fait voyager au sein même du cerveau de ce personnage traversé par une pulsion qui déborde, qui le déborde. Son imaginaire s’embrase pour le brûler et par une sorte de rêve, ou pas, il rencontrera son destin, et saluera son démon dans une merveilleuse scène finale.

Le mystique psychiatre Carl Gustav Jung écrivait : ce que l’on ne veut pas savoir de soi même finit par arriver de l’extérieur comme un destin. Le roman théâtral de Valérian Guillaume construit un récit parabole en écho à la phrase de Jung. Le texte colle au plus près de l’intime du héros, dissèque, déplie puis ausculte le démon névrotique au sein même de la psyché. Les énumérations, l’importance donnée aux détails, l’impudeur et la finesse du choix des mots assure une plongée au plus profond de l’être. Surtout, la grammaire qui adhère au pulsionnel saisit le public qui retient son souffle. Le destin arrivera de l’extérieur sous forme d’une descente aux enfers en même temps qu’aux ordres du penchant secret du personnage.

Charles Berling offre sa voix, son corps et son talent ; il sera lui-même saisi par le texte en ce qu’il raconte cette pulsion qui déborde. Le comédien est rattrapé par une quinte de toux et sans quitter son personnage se précipite sur une bouteille d’eau dissimulée dans le décor. Par ce geste il nous rappelle qu’un grand acteur sait se laisser surprendre et accueillir le symptôme enfermé au sein même d’un texte. Nous rappelle aussi que La mousson d’été reste un lieu unique où ces choses-là adviennent.

Nul si découvert

Valérian Guillaume

lu par Charles Berling

mes par Michel Didym

Credit photo : Boris Didym

 

Fondée en 1995 par Michel Didym, son directeur artistique, La Mousson d’été constitue l’un des événements européens majeurs en matière de découverte, de formation et de promotion des nouvelles écritures théâtrales. Pendant dix jours, au coeur de la Lorraine, l’Abbaye des Prémontrés ouvre ses portes aux auteurs dramatiques, aux metteurs en scène, aux universitaires, aux comédiens et au public pour venir écouter le théâtre d’aujourd’hui. C’est autour de lectures, de mises en espace – de textes inédits ou traduits pour la première fois en français -, de conversations et de spectacles que La Mousson d’été organise ce terrain de rencontres.

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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