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Une Soupe des plus Populaires à l’Opéra de Montpellier

Une Soupe des plus Populaires à l’Opéra de Montpellier

18 December 2016 | PAR Elodie Martinez

En cette période de fin d’année, les Fêtes amènent leur lot d’altruisme, d’envie de donner, de se tourner vers « les plus démunis ». C’est également la période durant laquelle se met en place ce qui s’est malheureusement trop banalisé : les collectes de nourriture ainsi que la Soupe Populaire. C’est cette dernière qui a inspiré le spectacle actuellement joué à Montpellier, Soupe Pop de Marie-Eve Signeyrole, inclassable, hors normes et hors codes afin de mieux servir l’humain. Une claque humaine avec une douce rugosité…

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Soupe Pop est un spectacle que l’on peut difficilement décrire, mêlant théâtre, chant, musique, une pointe d’opéra avec quelques chanteurs lyriques et un clin d’œil à la Traviata (un autre à La Bohème aurait peut-être été une idée à creuser au vu du thème abordé), le tout dans un spectacle totalement immersif où l’on fait passer son assiette et celles de ses voisins pour les remplir de soupe, mais aussi les verres, l’eau, ou encore le pain.

Les portes de la salle s’ouvrent 5 minutes environ avant l’heure de la « représentation » pour laisser la foule de spectateurs entrer et former une file, toujours habillés de leurs manteaux d’hiver… Le parallèle est on ne peut plus clair avec la réalité à laquelle on veut nous faire goûter. Nous attendons que la Soupe ouvre, salués par des acteurs déjà en place dans leurs rôles de bénévoles, puis nous prenons les uns après les autres notre assiette et notre cuillère avant de nous installer au gré des places restantes aux tables dressées à la place de la scène, à hauteur de l’estrade tout en longueur sur laquelle nous venons de marcher pour faire la queue et qui traverse la salle entière. Parmi les spectateurs, des comédiens et chanteurs avec ou sans micro se glissent et s’installent eux aussi aux tables, à côtés de nous, chacun avec son caractère bien défini. Le « décor » est alors posé. Une fois passée l’intervention du Belge qui marche et vocifère sur l’une des tables, les bénévoles nous demandent de faire passer nos assiettes : ce soir, c’est soupe de légumes. Tout comme la soirée que nous allons passer, cette dernière est salée…

Point de scénario linéaire pour cette Soupe Pop : nous passons une soirée en immersion totale, apprenant l’histoire des uns et des autres au fil de la soirée, entre diverses interventions et le tout accompagné par The Tiger Lillies et leur univers musical si particulier (nous y reviendrons plus loin). Difficile de ne pas être touché par ces personnages, ces « déchus », ces “bouteilles à la mer” comme il est dit, dont l’histoire pourrait être la nôtre : une femme battue qui s’est enfuie, un jeune homme de 24 ans vivant dans la rue depuis 7 ans « par choix » mais qui ne s’est pas lavé depuis plus de 10 jours et qui, gêné par son odeur, ne se rend plus dans les endroits clos afin de ne pas incommoder les autres. Ici Robert, un ancien professeur d’anglais homosexuel qui répète inlassablement qu’il a Bac+5, qu’il n’a rien à voir avec « ces gens-là » (entendez les autres “hôtes”), qui est dans un foyer, lui, et qui se retrouvent pourtant ici après plusieurs arrêts maladies à cause de ses élèves qui lui en ont « fait baver ». Là, Mireille, un transsexuel très touchant dont on ne connaît finalement pas vraiment l’histoire. On croise également Maria, une jeune fille qui finira par ne plus venir à la Soupe Populaire. On sait ce que ça veut dire quand ils ne viennent plus ; on les appelle « les absents » en attendant d’être vraiment sûr… Maria, cette jeune femme qui profite des nouveaux MacDo « remplaçant les vendeurs par des bornes » pour s’y réfugier la nuit mais qui jamais ne mangera cette nourriture par conviction, disant des vendeuses qu’elles sont « des étudiantes diplômées polyglottes qu’ils paient une misère » dont on se sert et qui ne sont donc pas si différentes qu’eux, à la Soupe. Cette jeune femme, chantant un extrait de la Traviata et offrant des sandwichs aux autres, se méfiant des hommes, finira assassinée par l’un d’eux en ombre chinoise, ayant baissé sa garde un seul soir. Monsieur le Ministre est là lui aussi, après son redressement fiscal de 3 millions d’euros. Quant à Lisa, au visage boursouflé par les coups, même elle ne sait plus vraiment son histoire, femme battue, ayant une relation particulière avec son père… Mention particulière au court passage durant lequel elle tente de monter une tente sans y parvenir. Comment ne pas ressentir un pincement au coeur face à son regard désoeuvré affrontant alors les rires autour d’elle? Et puis il y a ce jeune couple aussi, se promenant main dans la main la nuit et dormant le jour, « parce que c’est plus sûr »… Ainsi défilent ces vies brisées qui nous rappellent inlassablement qu’elles pourraient être les nôtres, qu’un rien suffit à tomber dans l’engrenage. Qu’on le veuille ou non, installés à leurs tables, nous devenons l’un des leurs et nous attachons à eux, à leur histoire, à leur vérité…

Rythmant la soirée, une voix mécanique préenregistrée sort des haut-parleurs pour lire la liste des questions plus ou moins saugrenues que l’on pose à la Soupe Populaire. En fin de soirée, Mireille livre un déchirant monologue, désolée de ne pas avoir su répondre à « la question », regroupant en réalité les dernières questions du formulaire que nous avons d’ailleurs reçu en rentrant. Les bénévoles prennent aussi part à la galerie de portraits et l’une des protagonistes s’interrogent sur ce qu’ils ont bien pu faire pour être là, notamment celui qui n’a de cesse de proposer du poivre toute la soirée, le poivre se confondant avec l’aide qu’il peut apporter.

The Tiger Lillies accompagne enfin cette Soupe Pop avec son univers, sa musique et parfois des chansons créées spécialement pour l’occasion. La voix « asexuée » du chanteur mériterait à elle seule le déplacement et l’on comprend que le groupe se permette des dates dans différentes villes du monde. La musique participe réellement au spectacle en permettant de former des parenthèses, notamment pour raconter les histoires de chacun, nous coupant ainsi du présent. Seul bémol cependant : les paroles en anglais étant traduites et projetées afin d’être comprises sont difficilement lisible car elles se superposent aux paroles déclamées par les comédiens. Force est souvent de faire un choix entre les deux. Le choix de ce trio est toutefois des plus intelligents et l’accordéon amène une atmosphère supplémentaire se confondant parfaitement avec celle du reste du spectacle.

Une mise en scène immersive, prenante, intelligente, engagée, merveilleusement servie par tout un cast de 44 artistes (The Tiger Lillies, comédiens et choristes de l’opéra) pour une soirée poignante aux dires parfois marquants, tels que : “Dans nos sociétés modernes, on n’est jamais là où on voudrait être”, “Mon horoscope, c’est les pages météo”, “Nous sommes des bouteilles à la mer”, “Un SDF, ça peut très bien être un étudiant en médecine”, “Les lois c’est pour donner un cadre aux faibles”, “Les belles saisons n’ont plus de compassion”,… Une aventure humaine, voilà ce qu’est Soup Pop. Un défis aussi : celui de parvenir à vous détacher de ces personnages devenus des personnes avec qui vous avez partagé votre repas, le temps d’un soir, le temps d’une vie ou de plusieurs…

©Marc Ginot

Infos pratiques

La Girandole
Fond Hélène et Edouard Leclerc pour la Culture
Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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