“Rien de prévu”, Sophie Mourousi sublime le désespoir
C’était il y a six ans déjà, dans les mêmes lieux. Sophie Mourousi présentait à l’Etoile du Nord ses Paroles affolées, un pas de deux amoureux qui déjà laissait apparaître son penchant pour les chansons populaires à tendances kitsch. Rien de Prévu est un seul en scène fou, dans la droite ligne des performances de Lætitia Dosch. Une petite bombe à voir jusqu’à samedi.
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Mais elle attend quoi cette fille-là ? Elle est devant nous derrière sa table, on dirait volontiers sa table à tout faire, la vraie table d’étudiant qui sert à la fois de bureau, de plan de travail pour la cuisine et sur laquelle on mange. Le public est sur scène, composé d’une trentaine de personnes au maximum. L’effet est immédiat, connu des services mais efficace : être face aux gradins est une sensation vertigineuse. C’est effrayant, et excitant. Elle n’a rien à faire, elle a beau faire semblant, en nous disant qu’elle bosse dur, valises sous les yeux en prime, on n’y croit pas une seconde. Cette jolie fille qui a l’air folle à force de faire des drôles de bruits est en dépression.
Elle est seule, entourée d’un transat où jouer aux vacances, et, pouvant si elle le souhaite endosser une veste à paillettes. Le caméléon Mathilde Lecarpentier nous transmet tous ses états d’âme et au regard de la playlist qu’elle nous livre, on est pas mal étonnés de ne pas croiser Luna Parker d’ailleurs. Alors, un collage étrange se fait, un mélange, aussi savant qu’il a l’air foutraque, de textes d’Audiard et de chansons de Céline Dion (on ne dira rien du show qu’offre la fille sur “All by myself”, à part que c’est tordant de rire) .
Dans un exercice classique qui reste celui du cabaret, Sophie Mourousi revisite le genre en faisant passer la violence d’un vide palpable par le collectif. “Parce que” d’Aznavour est ici chanté au loin, par elle, robe noire un peu évasée, petite pochette rouge et richelieu aux pieds. Le morceau dit “Parce Que tu as vingt ans
Que tu croques la vie comme en un fruit vermeil
Que l’on cueille en riant” mais pour elle qui tourne en rond dans ce théâtre carré, passant par des portes toujours ouvertes pour revenir toujours au point de départ, la vie ne semble pas être à croquer, mais à subir avec toute la part de cynisme que portent les chansons à succès sans forcement le vouloir. Hurler “Don’t wanna be
All by myself
Anymore” au-delà du rire, est un cri de désespoir.
Pourquoi cette fille sympa, bien habillée, jolie s’ennuie dans un monde où le mouvement est une obligation ?
Mourousi soulève ici des questions existentielles sans pathos en imposant un geste de metteuse en scène impeccable.
Visuel : DR