Performance
« Paysages partagés », la mise au vert de Caroline Barneaud et Stefan Kaegi au Festival d’Avignon.

« Paysages partagés », la mise au vert de Caroline Barneaud et Stefan Kaegi au Festival d’Avignon.

09 July 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

C’est ce genre de spectacle qui peut difficilement se vivre en dehors du temps fou d’Avignon. Imaginez, un départ en navette à 15h, un retour en navette à 22h30 et dans l’intervalle sept propositions centrées sur l’écoute, toutes très différentes. Chaussez vos pompes de randonnée et remplissez votre gourde. C’est parti, en avant, marche !

« Moi, j’ai regardé le ciel tout le temps »

Mis bout à bout, les noms rassemblés des artistes constituent le meilleur de la scène contemporaine actuelle. Regardez : Chiara Bersani et Marco D’Agostin, El Conde de Torrefiel, Sofia Dias et Vítor Roriz, Begüm Erciyas et Daniel Kötter, Stefan Kaegi, Ari Benjamin Meyers et Émilie Rousset. Soit un panel fou et divers de l’exigence en matière de spectacle vivant. Le théâtre documentaire, la danse participative, le théâtre intime, la performance et la réalité virtuelle se partagent aussi ce paysage artistique.

La zone de jeu est immense. Il s’agit d’un lieu bien connu des méridionaux, la Plaine de Pujaut. Imaginez. Il est maintenant 15h30, la chaleur cogne sévère et la journée commence par une vraie marche assez escarpée d’un quart d’heure. Le spectacle, cela se mérite, semble nous dire le collectif.

« Je n’avais pas touché un arbre depuis longtemps »

Et, justement, c’est en collectif que commence et finit la journée. Car entre ces deux moments, nous sommes séparés, un peu comme dans Koh-Lanta. Les roses, les bleus et les verts. Et, même à l’intérieur des groupes, les informations et les directives transmises, parfois de façon délicieusement foutraque (formidables Sofia Dias et Vítor Roriz,) différent d’une personne à une autre. On le réalise puisque « l’autre » ne fait pas la même chose que vous. Par exemple, danser comme le vent… Essayez, c’est très libératoire !
Paysages partagés ouvre sur une pièce sonore et immobile de Rimini Protokoll. On entend un dialogue entre un enfant, une femme ukrainienne et un homme du coin. Ils parlent de nature et de territoire, comme s’ils étaient au café du coin. C’est agréable, mais sans commune mesure avec les propositions habituellement plus fortes des rois du théâtre documentaire. À la fin, El Conde de Torrefiel, dans une installation très apocalyptique, ramène du bruit et de la technique pour nous dire à quel point nous sommes des brutes face à « mère Nature ». Le spectacle aurait dû s’arrêter là pour être parfait, un concert inutile, juste joli, vient réduire d’un coup l’expérience à un moment classiquement partagé, celui d’un concert en plein air. C’est dommage. Mais, cela ne doit en rien faire oublier les trois propositions les plus démentes de la journée.

Il y a d’abord eu, pour nous, groupe rose, la danse guidée de Sofia Dias et Vítor Roriz. Nous voici pantins des voix qui nous donnent des ordres du style : mettez-vous en rond, avancez, devenez une proie ou un prédateur. À la façon du déroulé d’un cours de danse gaga ou des cinq rythmes, le collectif se met en mouvement et épouse les arbres et les aiguilles de pin. L’effet est génial, les limites entre tous les rôles sont abolies.

« Madame, attention, vous êtes assise sur une colonie de fourmis rouges »

Il y a la vraie pièce d’Émilie Rousset, bijou absolu, qui nous amène au milieu des vignes pour une performance qui reprend les codes de l’Encyclopédie de la parole. Emmanuelle Lafon et Thomas Gonzalez réactivent une discussion au Parlement européen sur des directives idiotes. Le duo qui avance vers nous à travers vignes est rejoint par un maître de chais, Corentin Combe. Les paroles transmises sont celles de Faustine Bas-Defossez, directrice environnement, santé et nature au Bureau européen de l’environnement (EEB), et Fanny Rybak, enseignante chercheuse en éthologie et bioacoustique. Comme toujours chez Émilie Rousset – Le grand débat, Reconstitution : Le procès de Bobigny, Les Océanographes… –, le document est joué de façon directe. La proposition, portée par ces deux monstres du théâtre, est démente dans ce cadre idyllique. On en oublierait presque « que l’on entend plus les oiseaux ».

« Vous voulez du thé ? »
Dans le désordre, mais loin devant dans nos cœurs, le « pas de deux » des frères Papachristou dirigé par Chiara Bersani et Marco d’Agostin vous fait relativiser toutes les emmerdes de la vie. L’un est lourdement handicapé et l’autre est valide. Et alors ? Cela n’empêche pas le mouvement de se faire « porté », puis déposer dans un geste qui invite « juste » à partager un goûter en parlant de pop musique.

Paysages partagés est une expérience physique au rythme intense. Si toutes les propositions ne se valent pas, la cohérence de l’ensemble est à saluer. À faire absolument si vous avez envie de vous sortir de la frénésie de la ville.

Visuel : Paysages Partagés, Caroline Barneaud et Stefan Kaegi, 2023 © Christophe Raynaud de Lage

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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