Michel Foucault et Thierry Voeltzel refont le monde au Off d’Avignon
La comédie de Caen a eu une bonne idée : inviter Pierre Bourdieu, Stéphane Hessel, Nina Simone et Michel Foucault à venir nous parler. Quatre performances autour d’une figure donc. Pour nous ce fut le dialogue espiègle entre l’auteur de Surveiller et punir et “le garçon de 20 ans”. Jubilatoire.
Jusqu’au 26 juillet, la Manufacture se transforme et avance dans la nuit avec un dialogue sans censure entre le philosophe et son jeune amant. Pendant près de deux heures, de 23 heures à 1h du mat’, on entre dans leur trip et leur idée de mise en scène simple, efficace et pertinente.
Le texte est extrait et composé d’après le livre de Thierry Voeltzel 20 ans et après publié en 1978 aux éditions Verticales et augmenté d’une préface en 2014. Ce livre n’est pas signé de Michel Foucault qui pendant tout l’entretien ne dévoile jamais qui il est. C’est l’histoire d’une rencontre. Nous sommes en 1975, “un jeune homme fait du stop sur l’autoroute en direction de Caen. Le conducteur qui s’arrête a un look inhabituel : un homme chauve, avec des lunettes cerclées d’acier, un polo ras du cou et une curiosité constante pour son jeune passager” nous rappelle le résumé de la pièce.
Pierre Maillet se planque dans le public, dans l’escalier. Il n’est éclairé que d’une lampe de metteur en scène et passe des diapositives qui seront longtemps vierges d’images. On devine un sourire et une ligne de visage. Une voix surtout, claire et drôle qui nous rappelle le ton des émissions de télé de la fin des années 70. Jacques Martin n’est pas loin.
Pleine lumière, Maurin Ollès campe à merveille “le garçon de 20 ans” puisque c’est ainsi que “Michel” le nomme. Son jeu fait pas mal penser à la tessiture Nordey. Direct, sans ambages. Il campe à merveille l’idée de l’innocence de la jeunesse. Il répond à toutes les questions et nous découvrons le monde tel qu’il était il y a un peu plus de 40 ans, ahuris par la concordance des temps. Le gamin est un militant, qui travaille à l’hôpital et qui raconte la crise de l’institution, déjà. Il dit la difficulté à se montrer comme homosexuel dans l’espace public, déjà, encore, toujours.
L’air du temps nous arrive, aidé par la voix de Mick Jagger qui tourne sur la platine vinyle, déjà, encore, toujours. Cette platine qui, avec deux chaises, constitue tout le décor dont l’acte principal est la lumière dessinée en rectangle autour du comédien. Façon simple et efficace, de dire que lui est la diapositive de son époque.
Cette discussion performative est souvent très drôle, particulièrement grâce au jeu cynique de Pierre Maillet qui ose tout demander avec délice. On sort de là avec l’envie de lire tout Foucault, totalement séduits par la performance de ce duo étonnant.
Le portrait Foucault – Letzlove est à voir jusqu’au 26 à la Manufacture à 23h. Un portrait Bourdieu signé par Guillermo Pisani avec Caroline Arrous est présenté jusqu’au 27 juillet (sauf le 25) à 16h45 au 11. Gigamesh. Et en 2019, la comédie de Caen continue d’explorer les portraits avec en janvier celui de Gertrude Stein par Brigitte Seth & Roser Montllò Guberna.
Visuel © Comédie de Caen