Opéra
Épatante Platée à Garnier

Épatante Platée à Garnier

21 June 2022 | PAR Pascal Gauzes

Depuis plus de 20 ans, Platée mise en scène par Laurent Pelly et dirigée par Marc Minkowski n’en finit pas d’enchanter le public de Garnier, qui par une mise en abyme de départ, devient presque acteur de ce ballet bouffon de Rameau, dont la qualité du livret en fait un incontournable de la musique baroque.

Platée ou la commande sarcastique

Platée, créée en 1745, est une commande pour le mariage du dauphin Louis Ferdinand de France (fils de Louis XV) avec l’infante espagnole Marie-Thérèse. Celle dont on faisait peu d’égard à la beauté est la figure qui inspire le personnage de Platée. En quelques mots, pour mieux comprendre cette allusion, Junon, la femme de Jupiter, est d’une jalousie maladive, et Jupiter son dieu de mari s’en désespère. Sur les conseils du satyre Cithéron, Jupiter va feindre de s’enamourer de Platée, nymphe batracienne, dont la laideur n’a d’égale que la bêtise et la crédulité (et même peut-être la nymphomanie). L’organisation d’un faux mariage provoque les foudres de Junon qui découvre la supercherie en dévoilant Platée, raillée par toutes et tous et renvoyée au fond de son repoussant marais.

Plus qu’une raillerie sur les choix amoureux du dauphin, cette pièce s’inscrit dans une thématique phare de l’époque : la satire sociale et la mise au ban du peuple par les nobles. Tous les éléments de ce racisme ordinaire sont donc mis en musique : l’accent (Platée prononce les t muets en fin de mot), le mauvais goût vestimentaire, la laideur, l’éloignement de Versailles et bien évidemment la bêtise.

Une critique sociétale qui se joue de nous

Avec l’évolution récente des mentalités, peut-on réussir à avoir une mise en scène qui résiste aux années et à l’évolution des pensées, où toute forme de dénigrement peut être condamnée ? La réponse est oui. Laurent Pelly réussit ce tour de force de mettre en scène un Platée intemporel. Grâce à des costumes qui font voyager dans toutes les époques de la seconde moitié du XXème siècle, la stigmatisation temporelle s’efface. En commençant par un prologue, où des spectateurs s’installent dans un Garnier recréé sur la scène, le miroir est inversé, nous sommes acteurs de notre perception, et sommes-nous suffisamment critiques envers nous-mêmes pour comprendre que nous sommes sectaires ?

Une mise en scène radicale…

Mais toutes ces considérations sont balayées d’un coup de baguette d’orchestre. Marc Minkowski dirige l’Orchestre des Musiciens du Louvre avec brio et humour. Car probablement, l’élément majeur de cette mise en scène est cette grenouille géante qui déambule sur la scène mais aussi dans la salle et s’invite même jusqu’au milieu de l’orchestre. La dimension comique et participative est à son paroxysme, rire pendant un opéra, n’est-ce pas incroyablement jouissif ?

et une interprétation engagée…

Les « tubes » s’enchaînent. Le livret et la musique font de Platée un véritable chef d’œuvre. Les arias de Lawrence Brownlee (Platée, jouée par un homme pour enfoncer la dimension de disgrâce féminine) à la diction outrancière, répondent à l’excès de Thalie, La Folie, divinement interprétée par Julie Fuchs, dans une robe spectaculaire. Jean Teitgen campe un parfait Elvis jupitérien. Enfin la salle de Garnier recrée initialement, prend des allures post-apocalyptiques, et Chantal Thomas qui fait évoluer son décor vers toujours plus de déchéance renforce la mise à distance.

Pour en faire un chef-d’œuvre

Que dire, mis à part que 20 ans de succès s’expliquent de manière évidente après ces trois heures de spectacle. C’est beau, c’est enchanteur, et aussi très adapté à un public plus jeune pour s’ouvrir à la magie de l’opéra. Bref, à ne pas manquer, ou à revoir pour un plaisir synesthésique.

 

Platée à l’Opéra Garnier
Du 17 juin au 12 juillet 2022

Plus d’informations et réservations : ICI

Musique : Jean-Philippe Rameau
Livret : Adrien-Joseph Le Valois d’Orville
D’après : Jacques Autreau
Mise en scène : Laurent Pelly
Direction musicale : Marc Minkowski

 

 

Visuels : Guergana Damianova/OnP

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Pascal Gauzes
Pascal Gauzes est ingénieur agronome et diplômé de SciencesPo Paris, après avoir commencé sa carrière en marketing, il s'est orienté vers le monde de l'art et de la culture en dirigeant une galerie pour artistes émergents et en tant que directeur communication d'un musée parisien. Il collabore avec Toute La Culture depuis presque 10 ans.

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