Danse
Sun-A Lee au Pavillon noir : Dancing Dance for me / Dis Cover

Sun-A Lee au Pavillon noir : Dancing Dance for me / Dis Cover

06 February 2022 | PAR Nicolas Villodre

À l’intérieur du Pavillon noir, les murs et le plateau étaient blancs pour accueillir dignement, solennellement, cérémonieusement le solo de Sun-A Lee interprété par elle, Dancing Dance for me (2018) et son trio, Dis Cover (2022), créé à cette occasion.

Cinéroman

Ce que nous appelons cinédanse consiste à porter l’art de Terpsichore à l’écran en le captant fidèlement, en le transposant ou bien en le transformant avec les moyens dont dispose le cinématographe. Le multimédia use généralement du film comme appoint scénographique ou comme bonus au spectacle en général et à une pièce chorégraphique en particulier. La pièce de Sun-A Lee, que avions découverte en 2018 à L’Étoile du nord dans le cadre du festival Zoa, se réfère clairement au court métrage de fiction un peu mélo sur les bords, Dance for me (2014) de Kyeong-yeob Choo, dont elle était la vedette aux côtés de Jong-Hwan Park, dans le rôle de son amant. 

La bande, sous-titrée en anglais, montre un couple au bord de la rupture traversant Séoul la nuit, se posant pour causer au Café Gurunaru de Seogyo-dong, à Mapo-gu, roulant en voiture sur une route de campagne, se retrouvant dans une forêt de bouleaux enneigée. L’amoureux demande à la jeune femme d’exécuter une dernière danse avant leur prévisible séparation. D’où le titre du film. Sun-A Lee danse en short, les jambes nues, les pieds toutefois protégés par de hautes bottes en cuir. En présenciel (= sur scène), elle nous offre, avant la projection par intermittences du film, un bel exercice de style sur le thème de la répétition ou de l’échauffement en studio de danse et enfile la défroque de l’héroïne pelliculaire – un manteau à tartan. Après ce solo hiératique, vient la danse et son double, l’interprète se tenant debout, de dos sur les planches comme dans le film. Le jeu de reflets et de miroirs rappelle le numéro de Fred Astaire avec ses ombres dans Swing Time (1936) et celui de Gene Kelly avec l’image de son “alter ego” dans Cover Girl (1944).

Couple à trois

Le mot “Cover”, on le retrouve dans le titre de la pièce suiviante, Dis Cover, qui est un pas de trois chorégraphié par Sun-A Lee, confié par elle à Eun-kyoung Kim, Yun-kyung Hur et Dae-ho Lee, accompagné par la composition électro-acoustique de Hyun-hwa Cho et enrichi par la dramaturgie de notre collègue Thomas Hahn. L’expression “pas de trois” n’est sans doute pas tout à fait appropriée et ce, pour deux raisons : elle a une connotation “classique” alors que la forme, ici, est contemporaine, fort éloignée de la danse traditionnelle coréenne comme du ballet romantique occidental ; d’autre part, bien que l’on ait affaire à un trio, la suite inaugurale à base de solos est enchaînée à trois duos. Le garçon passe d’une partenaire féminine à l’autre jusqu’à son épuisement apparent; les deux jeunes filles n’ont plus d’autre solution que de conclure à deux la pièce.

Les interprètes sont tous trois intéressants. Et, qui plus est, singuliers. La première intervenante chute à plusieurs reprises brutalement, bruyamment, sur le dos, à la façon d’une judoka ; la deuxième se montre d’une souplesse étonnante ; le danseur est, quant à lui, du point de vue musculaire, épatant. La continuité obéit à une double logique, “bind” ou contrainte : à une volonté expressive pour ne pas dire représentative ; à un développement purement plastique allant du pétrissage au maculage. Une transformation ludique, enfantine, au stade anal, de la matière adamique qu’est symboliquement parlant la terre glaise. Toutes proportions gardées, comme dans le spectaculaire Paso doble (2006) de Josef Nadj et Miquel Barcello. Les traces sur la toile vierge recouvrant le sol des reliefs des trois mottes d’argile de différents coloris (bleu, ocre brun, vert) composent un tableau expressionniste abstrait.

Visuel : la chorégraphe Sun-A Lee et le dramaturge Thomas Hahn © Nicolas Villodre 2022.

La playlist in French (once again)
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