Danse
Portrait, la chorégraphie en rafales de Rebecca Journo à l’Atelier de Paris

Portrait, la chorégraphie en rafales de Rebecca Journo à l’Atelier de Paris

13 February 2023 | PAR Eleonore Carbajo

Rebecca Journo présente sa création Portrait, ce jeudi 9 février 2023 dans le cadre du festival Faits d’Hiver, à l’Atelier de Paris (Centre de Développement Chorégraphique National).

Un lieu incontournable qui nous plonge dans une mise en scène millimétrée

Niché au cœur du bois de Vincennes, il faut pénétrer dans « La Cartoucherie », se frayer un passage entre les chevaux du centre équestre voisin, pour se réchauffer autour d’un buffet, dans l’enceinte de l’Atelier de Paris. Une ambiance conviviale, où chacun se retrouve avant que ne commence le spectacle programmé ce soir, une composition artistique de Rebecca Journo, co-fondatrice du collectif La Pieuvre aux côtés de Véronique Lemonnier. L’objectif de l’artiste comme il l’est expliqué sur le site du collectif, est d’atteindre un « langage chorégraphique où le mouvement s’attelle à rendre tangible le dialogue entre corps, imagination et son ».

Une fois dans la salle, chacun découvre la scène et son aménagement, dont les divers rideaux structurent l’espace et créent de la profondeur, notamment en fond de scène. Quatre chaises installées çà et là permettent aux danseuses d’agir comme spectatrices de la composition, d’observer le public autant que ce dernier les contemple.

Quatre danseuses et un musicien : quand « corps et son entrent en dialogue pour construire ensemble la sensation de l’espace et du temps »

La musique y est pour beaucoup dans l’effet de la performance sur le spectateur. Mathieu Bonnafous superpose des enregistrements de matières dites « miroir » comme le cristal, le verre ou l’eau afin de composer une bande son en totale adéquation avec la chorégraphie, qui se construit en parallèle de cette dernière : la création sonore alimente la création chorégraphique et inversement, pour un rendu où les deux registres dialoguent parfaitement.

Côté danse, on retrouve Rebecca Journo, ainsi que trois autres interprètes ; Véronique Lemonnier, Vera Gorbatcheva et Lauren Lecrique. Un quatuor explosif où chaque danseuse apporte une plus-value à la chorégraphie du fait de son interprétation du sujet. Pourtant, elles semblent parfois ne former plus qu’une, notamment à la fin du spectacle lorsqu’elles sont assises sur deux chaises, et ne se détachent jamais les unes des autres tout en dansant, ou encore quand elles s’observent dans le miroir grossissant, faisant perdre au public le fil de l’identité de chacune. Toutes vêtues d’une combinaison noire, leurs ombres semblent se faufiler sur toute la scène, dressant des portraits multiples qui se confondent.

Une chorégraphie horrifique sur l’image

Portrait, c’est l’ambition de capturer le temps, de bloquer le mouvant dans le figé, de saisir l’instant. Mouvements et arrêts sur image se croisent, se superposent, voire s’opposent : la chorégraphie est robotique, les mouvements saccadés mais pourtant extrêmement rapides, ce qui donne l’impression au public de regarder des automates, en lévitation au-dessus du sol, dont les gestes sont contrariés par des secousses, des sursauts, des tremblements. La fluidité du bas du corps contraste avec la crispation du visage, et l’anxiété qui se dégage des sourires forcés qui ne quittent pas les lèvres des danseuses. Des portraits en négatif terrifiants, où personne ne peut se détendre tout à fait dans le fond de son siège, emporté dans le dialogue qui se tisse avec les interprètes, et guidé par les jeux de lumière et notamment les flashs soudains, qui donnent l’impression au spectateur qu’on lui dresse aussi son portrait.

Usant tantôt d’accessoires en plexiglass mimant l’usage d’écrans, ou d’un miroir grossissant situé à droite de la scène, les visages se déforment du fait des jeux de lumière ou des mimiques chorégraphiées caricaturales des artistes. De multiples identités sont déployées, comme autant de fragments d’expériences de vie : Rebecca Journo « cherche à collectionner les portraits comme on collectionnerait des masques derrière lesquels on peut changer d’identité ». Les micromouvements qui se superposent épatent le public sur la capacité des danseuses à se déplacer tout en paraissant immobiles. Celles-ci vont et viennent sur scène, ne faisant jamais leur entrée à l’endroit où les attend le spectateur ; ayant toujours un coup d’avance sur lui, elles se faufilent en coulisses et nous surprennent à chacune de leurs apparitions. Les danseuses posent frénétiquement, presque furieusement, et leurs regards se portent toujours sur la salle : l’enjeu de la chorégraphie, le pari de Rebecca Journo, est de ne jamais quitter des yeux le public, prenant toujours à partie ce dernier dans la performance à laquelle il semble d’une certaine manière participer lui aussi.

Puis soudain, l’ambiance horrifique qui se dégage de la création s’apaise, la lumière inonde la salle, chacun est libre de reprendre son souffle comme il l’entend, et en particulier les danseuses, qui abandonnent leur sourire de façade pour un sourire honnête et franc, accompagnées du musicien pour des saluts inondés par les applaudissements du public. Une belle création qui s’ajoute à la programmation 2023 du Festival Faits d’Hiver !

Visuel : Atelier de Paris – Portrait, Rebecca Journo, Collectif La Pieuvre

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Eleonore Carbajo

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