Danse
Le chorégraphe Karl Alfred Schreiner revisite Giselle au Théâtre de la Gärtnerplatz de Munich

Le chorégraphe Karl Alfred Schreiner revisite Giselle au Théâtre de la Gärtnerplatz de Munich

15 December 2022 | PAR La Rédaction

Karl-Alfred Schreiner est depuis dix ans à la tête du ballet du théâtre de la Gärtnerplatz de Munich. Cette saison, il nous offre sa dernière création, une nouvelle chorégraphie du ballet romantique Giselle sur la musique virevoltante d’Adolphe Adam. Michael Nündel est au pupitre de l’orchestre.

par Luc-Henri Roger

C’est en feuilletant De l’Allemagne de Heinrich Heine*, ce grand poète allemand devenu Parisien par l’exil, que Théophile Gautier, tombant sur le passage consacré aux ” willis “, eut en 1841 l’idée que ces elfes dansantes pourraient faire l’objet d’un ballet. Il s’en ouvrit au marquis de Saint-Georges qui rédigea aussitôt le livret avec Jules Henri Vernoy. Adolphe Adam en improvisa la musique en moins d’une semaine et c’est ainsi que naquit le plus célèbre des ballets romantiques, qui fut dansé par la très célèbre Carlotta Grisi, — dont Gautier fut follement amoureux, — et Lucien Petipa, le frère de Marius, lui-même présent dans la salle lors de la première. C’est ce ballet que Karl Alfred Schreiner a revisité pour en réaliser une nouvelle chorégraphie avec les danseurs du théâtre munichois de la Gärtnerplatz.

Le chorégraphe, au départ de l’idée que les mariages morganatiques ne sont aujourd’hui plus de saison, s’est d’emblée écarté de la substance même du conte mythique et a surtout voulu mettre l’accent sur les tourbillons émotionnels dans lesquels sont entraînés les protagonistes, tout particulièrement Giselle. Les willis ne sont plus présentes que dans le rêve la jeune paysanne qui, victime d’une jalousie maladive, se met à délirer croyant qu’Albrecht, dont elle est follement amoureuse, lui cache en fait être fiancé à une princesse. Dans son rêve, Giselle se voit mourir et la cheffe des Willis, qui sont les esprits de jeunes filles mortes vierges, décide qu’Albrecht doit suivre Giselle dans la tombe : il est condamné à danser jusqu’à la mort par épuisement. Mais l’esprit de Giselle, en dansant avec lui, arrive à le sauver.

C’est sans doute pour marquer cette modification substantielle du conte qu’il fut demandé au chef invité Michael Nündel de composer une nouvelle ouverture et de modifier quelque peu l’ordre des numéros de la partition. La musique contemporaine de l’ouverture se base sur les motifs d’Adolphe Adam tout en introduisant des stridences qui se veulent surprenantes, mais ne sont peut-être pas du meilleur aloi. Les premières minutes passées, on retrouve la musique du compositeur parisien, avec sa tonalité symphonique et ses effets orchestraux envoûtants et enchanteurs. La magnifique fugue sur laquelle il fait danser les willis, les airs de danse, l’instrumentation colorée de ce chef-d’œuvre de la musique de ballet sont parfaitement rendus par le chef et l’orchestre très applaudis.

Heiko Pfützner a créé un décor unique aux éléments mobiles. À l’ouverture, la scène semble étonnamment étroite pour y pouvoir déployer un ballet. Le rideau s’ouvre sur une grange dont les murs et les plafonds blancs sont soutenus d’un écheveau de poutres et de colombages noirs. De grands parallélépipèdes brun clair emballés de plastique figurent des bottes de paille. Les murs de la grange s’écarteront progressivement pour déployer un plus grand espace scénique. Les décors ne figurent ni les vendanges ni les forêts ni les chasses ; c’est par le biais des étonnants costumes en patchwork de Talbot Runhof que ces motifs seront évoqués, notamment par leurs coloris automnaux et les chapeaux alpins. Au deuxième acte les décors se mettent en mouvement ce qui a pour effet, en combinaison avec les jeux d’éclairages qui produisent des lumières tamisées et la diffusion de fumées, à créer une atmosphère fantastique qui illustre les délires oniriques de Giselle. Comme l’ouroboros, le décor se referme au final pour retrouver sa position initiale, tout cela ne fut qu’un rêve. La vida es sueño.

Le ballet est surtout remarquable par les chorégraphies de groupe extrêmement réussies tout au long du spectacle, et particulièrement en deuxième partie lors des danses des willis et des mouflons. Les groupes de chasseurs traditionnellement masculins sont mixtes, de même les willis, habituellement dansées par des femmes, sont ici aussi interprétées par des hommes vêtus des mêmes longues robes décolletées que leurs compagnes. Ce choix du chorégraphe n’est ni provocant ni ambigu, et ce ne sont pas non plus des rôles travestis. On découvre combien un danseur peut garder sa virilité tout en dansant un rôle féminin et avec une gestuelle féminine, et inversement, ce qui est bien dans l’esprit du temps. Des quatre solistes principaux, on retiendra surtout la prestation remarquable de Yunju Lee qui interprète à la fois les rôles de Bathilde, la fiancée du prince, et de Myrtha, la cheffe des willis. Sa Bathilde est une maîtresse femme exigeante, inflexible et impérative, des caractéristiques que l’on retrouve dans sa Myrtha. La soliste combine souplesse, grâce et légère et une remarquable composition des deux rôles. Alexander Quetell interprète avec brio le personnage d’Hilarion en donnant des solos étourdissants, d’une conception tout à fait originale. Ariane Roustan donne une Giselle déroutante, le mouvement est très saccadé, curieusement masculin, les bras font des moulinets souvent démesurés, loin des grâces exquises qui exprimeraient tour à tour la chasteté voluptueuse, la détresse touchante et la naïveté qu’on attend traditionnellement d’une Giselle. Le long pas de deux final avec l’Albrecht de Mikaël Champs tombe quelque peu à plat après la belle dynamique endiablée de la danse entraînante des willis, avec ses valses, ses galops, ses mazurkas ou ses contredanses. Notons enfin la superbe danse des mouflons, les trois danseurs réussissant une pantomime animalière du plus bel effet.

On passe une bonne soirée au Theater-am-Gärtnerplatz. Comme l’a dit le poète, même si dans la nouvelle chorégraphie elles ne se manifestent plus qu’au cœur d’un rêve délirant, ” ces bacchantes mortes sont irrésistibles ! ” *

Visuels : © Marie-Laure Briane

* « Dans une partie de l’Autriche, il y a une légende qui offre certaines similitudes avec les antérieures, bien que celle-ci soit d’une origine slave. C’est la légende de la danseuse nocturne, connue dans les pays slaves sous le nom de “willi”. Les willis sont des fiancées qui sont mortes avant le jour des noces, pauvres jeunes filles qui ne peuvent pas rester tranquilles dans la tombe. Dans leurs cœurs éteints, dans leurs pieds morts reste encore cet amour de la danse qu’elles n’ont pu satisfaire pendant leur vie ; à minuit, elles se lèvent, se rassemblent en troupes sur la grande route, et, malheur au jeune homme qui les rencontre ! Il faut qu’il danse avec elles ; elles l’enlacent avec un désir effréné, et il danse avec elles jusqu’à ce qu’il tombe mort. Parées de leurs habits de noces, des couronnes de fleurs sur la tête, des anneaux étincelants à leurs doigts, les willis dansent au clair de lune comme les elfes. Leur figure, quoique d’un blanc de neige, est belle de jeunesse ; elles rient avec une joie si effroyable, elles vous appellent avec tant de séduction, leur air a de si doucettes promesses ! Ces bacchantes mortes sont irrésistibles. » – Heinrich Heine, De l’Allemagne

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