
“Le chant des ruines” de Michèle Noiret : une réflexion esthétique sur la déconstruction
Ayant commencé ses répétitions à Chaillot dans le cadre de sa “Fabrique”, fait l’ouverture de Charleroi Danse à l’automne 2019 et n’ayant pas été donné depuis un an et demie, Le chant des ruines de la Cie Michèle Noiret a maintenu une des ses dates prévues au Théâtre National de la Danse pour les professionnels. Un moment intense de chorégraphies et de film, où 5 danseurs nous ont parlé de la déconstruction de notre monde avec une beauté froide implacable.
Une représentation rare et engagée
Sur scène, ce jeudi 4 mars avant que le spectacle ne commence à 15h, Didier Deschamps et Michèle Noiret sont venus nous parler, le premier de la joie de voir ce spectacle malgré tout et de l’engagement du Théâtre qu’il dirige qui est présent en numérique mais aussi “en vrai”, auprès des professionnels autant que possible et aussi à travers trois pièces qui tournent partout en France auprès des élèves. Michèle Noiret a évoqué les pointillés entre les répétitions et la création du Chant des ruines, et les trois jours de travail qui ont permis cette nouvelle représentation si longtemps après…
L’image belle et froide de l’humain déconstruit
Puis la lumière s’est densifiée de bleu et les cinq danseurs ont pris place dans le paysage lunaire proposé sur scène. Des plaques de plastique blanc et un monceau de ruines déchiquetées dans la même matière forment à la fois la scène et les ruines. Les danseurs s’emparent de ces éléments de scénographie et les déplacent avec eux pour se cacher, s’appuyer, se fondre en eux comme s’ils étaient matière ou y briller comme sur une mise en abîme de scène. Au fond, à temps, s’éveille un écran qui permet de montrer, magnifiés et agrandis, aussi bien les regards, que les corps ou les détails de la matière, avec leurs replis et leurs lignes. Les images sont sublimes mais le temps est lourd, la lumière froide et la musique signée Todor Todoroff crée une ambiance sonore futuriste émanant de machines menaçantes…
Modernité liquide
Tout au long de la performance, l’humain est déshumanisé. Sara Tan nous parle en anglais; elle incarne un robot-narrateur vantant un manuel de survie au 21e siècle. Il y a une explosion rougeoyante dans les ruines et puis très vite, “ça” danse, “ça” danse vraiment, même si toujours un peu mécanique, à contre-courant, étrangement inquiétant. Presque classiques dans leurs gestes mais aussi dans leurs vêtements souples et assortis au moins pour deux “couples”, les danseurs incarnent une modernité “liquide” pour reprendre le concept du sociologue polonais Zygmunt Bauman. Une modernité où tout se déconstruit, où tout met mal à l’aise, plutôt par raideur mécanique que par excès de souplesse post-moderne.
Même quand la musique peut sembler plus familière, aussi bien dans le solo sur “Back to Black” d’Amy Winehouse, que dans le duo à la Egon Schiele qui devient tiraillement de groupe sur le Beau Danube Bleu des Johannes Strauss, l’amplitude minime ou démesurée des gestes, et le rythme contre-intuitif des danseurs créent une beauté noire et froide. Le résultat séduit visuellement et interpelle moralement et cette reconstruction rêveuse et désolée résonne fort avec notre temps. Revisitant nos canons, “Le chant des ruines” est donc coup de poing magnifique et qui vient a propos… A voir donc prochainement, nous l’espérons, pour tous.
Michèle Noiret • Le Chant des ruines from Théâtre de Chaillot on Vimeo.
Le chant des ruines de Michèle Noiret et David Drouard, avec Alexandre Bachelard, Harris Gkekas, Liza Penkova, Sara Tan, Denis Terrasse, musique : Todor Todoroff, vidéos : Vincent Pickaers, 1h10.
Visuel (c) Sergine Laloux