La Re-Vue littéraire de Guesch Patti à l’Etrange Cargo
Pour toute une génération née avant 1990, le nom de Guesch Patti est associé au tube “Etienne”. Mais, si la danseuse a fait une incursion dans la chanson, il serait faux de la résumer à ce monument de la culture pop. Re-Vue nous entraîne dans un huis-clos embarrassant et étrange, qui nous ramène à l’esthétique de Patrice Chereau.
Le plateau blanc de la Ménagerie n’est pas vide, il est ponctué d’une table et de quatre chaises. Des feuilles manuscrites jonchent une partie de l’espace et un livre sera bientôt brandi, Autoportrait d’Edouard Levé. Une première phrase se fait entendre “j’oublie ce qui me déplaît”.
Quatre chaises pour quatre interprètes, et quels interprètes ! Elle, Guesch Patti, lui 1 Pier Lamandé, lui 2 Pascal Merighi et lui 3 Thierry Thieû Niang. Ils sont vêtus de noir et n’ont pas l’air très contents de se retrouver là. La musique se fait symphonique sous les notes « happantes » de Gavin Bryars, et les protagonistes se mettent à danser en duo dans une gestuelle qui emprunte au classique et au modern jazz. Les bras sont des ailes, ils se lèvent haut. Les pas se font généralement lents avant de prendre quelques accélérations qui ici, contraints par la situation, ne pourraient pas aller loin de toute façon.
Voir danser Thierry Thieû Nang est avant tout une belle expérience. Celui qui a partagé le travail de Patrice Chereau pendant tant d’années a le culte du mouvement. On court ici, comme dans Du printemps où des personnes âgées effectuaient un marathon spectaculaire. Il s’invite dans des postures de complétude où avec le corps de la seule fille il forme un tout.
Le spectacle est étrange et quel meilleur compliment pourrait-on faire à la programmation de l’Étrange Cargo qui offre ce spectacle en clôture. Spectacle aux frontières forcément. Celle de la fiction, du théâtre et de la danse. Les mots d’Edouart Levé sont une toile de fond surréaliste qui devient ici monologues dialogués complètement incongrus :”J’aime la pluie d’été” peut être succédée par “les flamands roses me semblent irréels”. Au fil de l’action, les quatre font société, se sourient, tentent un pas de valse et une déambulation très glamour en talons hauts.
Il y a dans ce spectacle une forme de nostalgie et de langueur qui se dégagent. La danse est faite d’alternances, de pauses, et quand on commence à s’installer dans ce qui pourrait ressembler à un récit, le quatuor change tout. Pascal Merighi, interprète de Pina Bausch se débat, Pier Lamandé, l’acteur, le metteur en scène proche de Nordey lit et se laisse guider par la danse.
Contrairement à ce que propose Sartre, ici, la porte reste ouverte, mais elle ne semble pas les inviter à retrouver leur liberté. Morts, fantômes, ou juste humains qui ont assez morflé pour être adulte et conscients de la mainmise des faux-semblants sur leur vie. Re-vue tente de se libérer des pollutions pour toucher au profond. On en sort, étrange, le mot est juste, alors on peut le répéter, et voilà une bonne chose que d’être conduit sur la route de cet état-là.
Visuel : ©
Thierry Boccom-Gibbod