Danse
Gaëlle Bourges conjure la peur au Théâtre National Bordeaux Aquitaine

Gaëlle Bourges conjure la peur au Théâtre National Bordeaux Aquitaine

17 March 2019 | PAR Eriksen

AU TNBA les 7, 8 et 9 mars, Gaëlle Bourges reprenait Conjurer la peur , un spectacle de danse de 2017, inspiré par une conférence de Patrick Boucheron sur la célèbre fresque siennoise du XIVe siècle d’Ambrogio Lorenzetti, représentant les effets d’un bon et d’un mauvais gouvernement. La chorégraphe entremêle l’histoire, le présent, et elle-même dans sa propre histoire, pour créer une fresque politique pertinente sur le fond, mais paresseuse sur la forme.

L’histoire, c’est Sienne en 1338 vivant la fin de son âge d’or. Les neufs sages de la ville commanditent une fresque de 35 m répartie sur trois murs du Palazzo Publico, pour faire savoir au public, et surtout aux neufs sages eux-mêmes, les dangers d’un mauvais gouvernement et les bienfaits d’un bon.

Le présent, c’est nous, face à une fin d’âge d’or, quand les habitants s’appauvrissent à l’exception des élites.

Elle dans son histoire, c’est un programme politique. Non pas tant dans la volonté d’imposer sa pensée « progressiste », mais surtout dans une démarche d’aplanissement de son ego, afin d’entrer dans un autre jeu politique :  l’intelligence collective au détriment de la propagande. C’est le parcours de la narratrice : d’abord conférencière au micro , elle rejoint ensuite la ronde des 9 et sa voix devient off, comme déjà le début d’une distanciation.

Qu’elle est belle pourtant cette propagande sous le pinceau de Ambrogio Lorenzetti. La renaissance frémit, l’inventivité s’autorise…, si la fresque était là, on y verrait « le premier sablier en peinture », « le premier nu à caractère positif » …, toujours d’après Gaëlle Bourges qui poursuit sa visite guidée. Elle l’illustre par des tableaux vivants composés de 8 comédiens, dans un décor nu et délimité par des fils verticaux qui matérialisent les contours de la salle du Palazzo. Sur le panneau central, le Dieu rayonnant est confiné à la marge, des nobles offrent leur richesses à la communauté, la justice règne et la paix alanguie garde à portée une armure et un casque au cas où.  Le danger n’est pas loin, il vient de dehors (des princes) et de nous-même (la division). Gaëlle Bourges joue aussi des politiquement corrects de chaque époque. Sur la fresque, les homosexuels sont des effets du mauvais gouvernement (avec Jupiter (sic) et les prostituées), tandis que sous le bon gouvernement, humains et animaux y font des petits et le mariage est célébré…

On frémit au mauvais présage d’avoir fait du 4e mur (le public), celui des effets du mauvais gouvernement, d’autant que le présent devient plus prégnant chez la narratrice. Les frises de slogans médiévaux se déchirent, ainsi les paroles auxquels elle a cru. Elle prône le service public sexuel et le revenu universel : la lutte qui continue. Contre la tristesse insidieuse qui divise, contre les guides touristiques qui refusent qu’on écoute sans avoir payé…

Le spectacle poursuit sa spirale, Gaëlle Bourges s’efface et entre dans la ronde. Son objectif de « détruire le pouvoir » devient « cesser de donner des ordres ». Les différences s’atténuent, tout comme sous le « rabot de la Concorde » de la fresque.

La nudité change encore de statut. Du « mauvais côté », elle reste, comme au moyen Age, symbole de l’animalité et degré zéro de l’humanité. Du « bon côté » la nudité s’innove : elle est belle et positive, comme l’expression de la honte effacée de l’humanité dans l’Eden reconstitué. Enfin elle est touchante d’humilité et de faiblesse dans la ronde des culs nus qui animent les neufs danseurs sur scène.

Mais ne rêvons pas tant, « les rêveurs n’apprennent jamais » nous dit Gaëlle Bourges par la voix de Radiohead dans Daydreaming, qui susurre aussi le sens du spectacle : « just happy to serve you ».

Un spectacle bien pensé et un beau programme. Reste qu’il faut bien parler de la forme. Si l’ego et la prétention humaine de tout savoir se résolvent à la fin, la pauvreté chorégraphique persiste et bien des spectateurs alléchés par un spectacle de danse n’y trouveront pas leur plaisir. Les tableaux vivants mimant la fresque sont plombé par un jeu trop caricatural, et les rondes dignes de rien.

Un spectacle à voir tout de même, mais il est préférable d’avoir la fresque en tête avant d’y courir.

Conjurer la peur
Conception Gaëlle Bourges

Crédit Photos Danielle Voirin

Infos pratiques

Compagnie Les Marches de l’été
Le Vent des signes
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