Gaëlle Bourges nous ordonne de Conjurer la peur
Conjurer la peur, ce titre magnifique est un ordre que Lorenzetti a peint sur les murs du Palazzo Pubblico de Sienne. Cette injonction, Gaëlle Bourges la fait sienne, pour une visite de palais entre la danse, la performance et le théâtre, à la beauté médiévale. A voir au Théâtre de la Ville.
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La pièce met litteralement en mouvement L’Allégorie et les effets du Bon et du Mauvais Gouvernement, un ensemble de fresques d’Ambrogio Lorenzetti placées sur les murs de la Sala dei Nove ou Sala della Pace du Palazzo Pubblico de Sienne. Réalisée en 1338 cette fresque immense est inégale : 14 mètres pour le mauvais gouvernent, 14 +7 pour le bon. Elle raconte les effets de la république sur le peuple en opposition aux effets de la tyrannie. Gaëlle Bourges nous fait donc visiter le palais. Evidemment, ici, l’espace est vide de fresques. Alors comment faire ? Tout travail de la chorégraphe consiste à rendre vivants les personnages peints au XIVe siècle. Comme elle l’a fait avec Pétrarque, Lascaux ou La Dame à Licorne son objet n’est bien sûr pas de faire ni un exercice de style, ni un cours d’histoire de l’art mais bien de faire écho, entre une œuvre et notre époque.
Gaëlle Bourges a été témoin de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, pour elle le parallèle est limpide: quand Lorenzetti peint, la guerre est aux portes de Sienne. C’est un hasard qui l’a amenée à travailler cette œuvre, un dîner, un livre, celui de Patrick Boucheron et l’idée de se servir de cette allégorie pour penser les méthodes de gouvernements du XXIe siècle. La voix est ultra présente ici, à la façon d’un guide conférencier, et les mots qui au commencement nous expliquent pas à pas les représentations de Lorenzetti pour ensuite entrer dans ses propres questionnements sur la création contemporaine et sur l’état du monde.
Sur scène, une table, autour de laquelle sont assis Matthias Bardoula, Gaëlle Bourges, Agnès Butet, Marianne Chargois, Camille Gerbeau, Guillaume Marie, Phlaurian Pettier, Alice Roland et Marco Villari. Gaëlle Bourge s’amuse à les présenter, comme des musiciens.
Alors ils vont être le bon et le mauvais gouvernement, le sexe du côté des mauvais, le mariage du côté du bon, le nu du côté des mauvais, la pudeur du côté du bon. Les choses ne sont pas simples.
Mais comment mettre du mouvement dans une fresque ? Elle fait évoluer ses danseurs, et elle-même d’une scène à l’autre avant de les figer, comme une statue. Elle fait entrer dans la posture. Ici chaque détail compte, l’art médiéval de cette période frise le maniérisme, et il faut arquer une côte, allonger une nuque. A cet exercice, Marianne Chargois est particulièrement troublante, princesse punk qui bascule du bon au mauvais sans encombre.
Conjurer la peur est beau. La lenteur, le temps pris pour entrer dans le geste puis la libération d’une étrange ronde. Tout concorde ici, dans un dialogue parfait avec le Moyen Age. Gaëlle Bourges nous invite à mieux voir, à mieux entendre, à rester lucide, à ne pas confondre l’amitié et la loi. Une ronde de femmes heureuses ? Non, une commande d’Etat pour des travestis aux robes bouffées par les vers.
Elle semble nous ordonner de ne pas être des Trump qui résumeraient l’actualité en un tweet.
Elle invite un titre qui l’obsède de Radiohead : daydreaming aux paroles déroutantes. Le rêveur n’apprend pas, pourtant, il faut bien conjurer la peur en rêvant ? Non? Alors dansons.
Dreamers
They never learn
They never learn
Beyond, beyond the point
Of no return
Of no return
And it’s too late
The damage is done
The damage is done
This goes
Beyond me
Beyond you
The white room
By a window
Where the sun comes
Through
We are
Just happy to serve
Just happy to serve
You
Visuel : DR