Danse
« Cendrillon », ballet de Rudolf Noureïev, à l’Opéra de Paris

« Cendrillon », ballet de Rudolf Noureïev, à l’Opéra de Paris

18 December 2018 | PAR Raphaël de Gubernatis

Reprise d’un ballet qui fit quelque sensation lors de sa création au Palais Garnier en 1986 grâce au scénographe Petrika Ionesco transportant l’action au cœur des studios de Hollywood.

C’était une idée magnifique : transposer le conte de fées « Cendrillon » au sein de l’univers féerique du cinéma hollywoodien des Années Trente, mais avec des décors Art Nouveau ou Art Déco et des costumes des Années Folles.
Cette idée, elle venait de l’homme qui conçut le décor fracassant du ballet, de ce Petrika Ionesco que Rudolf Noureïev avait choisi comme scénographe quand en 1986 il monta cet ouvrage pour le Ballet de l’Opéra de Paris sur la partition proprement géniale de Serge Prokofiev.

Trop russe, trop académique

Las ! Trop russe, trop académique, Noureïev n’a pas été fichu dans « Cendrillon » de se désengluer de l’univers du ballet classique au cœur duquel il avait été dressé. Sur la musique de Prokofiev, si intelligente, si éloquente, si expressive, il aurait dû forger un langage chorégraphique typé, inventif, tout habité par l’esprit glamour des écrans de Hollywood et de la comédie musicale. Au lieu de cela, quand le corps de ballet de l’Opéra de Paris pourrait damner le pion à l’esprit des « musicals » américains, il répond par des séquences piteuses de danse académique dans des costumes parfois lamentables d’Hanae Mori (au premier acte) qui sentent furieusement la scène de théâtre de province en Union Soviétique.

Noureïev avait là, clefs en main, l’opportunité de concevoir une œuvre exceptionnelle, comme peu de temps avant lui l’avait osé Maguy Marin pour le Ballet de l’Opéra de Lyon avec sa « Cendrillon » qui a fait dix fois le tour du monde. Mais voilà, le danseur aura eu beau s’échapper du cauchemar soviétique, il restera prisonnier de l’académisme russe et n’aura jamais fait dans « Cendrillon » que du Petipa au petit pied.

Divertissements calamiteux

Il faut ainsi se contenter de confrontations un peu niaises et anecdotiques entre Cendrillon, son ignoble marâtre et ses méchantes sœurs, niaises, sauf une, saisissante, au troisième acte, quand le chorégraphe, subitement inspiré, fait de son héroïne une figure proprement christique. Il faut encore s’appuyer des divertissements calamiteux, placés sous le signe des saisons, au deuxième tableau au premier acte, quand sur fond de gratte-ciel fantastiques, Noureïev vous tartine des séquences de ballet d’une mièvrerie confondante renforcée par des costumes d’un kitsch hallucinant.

Comme au jour de sa création sur la scène du Palais Garnier, il y a 32 ans, on enrage aujourd’hui encore de voir combien le chorégraphe a raté une opportunité fabuleuse de créer une version inoubliable de « Cendrillon ». En se saisissant de cette juteuse transposition, si riche en images, en aventures possibles, en s’élevant à la hauteur du génie de Prokofiev.

Un très beau duo final

Cependant, tout n’est pas mauvais dans « Cendrillon », loin de là. Il faut avoir la patience de voir arriver les épisodes heureux. Qualifié de « grand chorégraphe » dans le programme honteusement flagorneur de l’Opéra, Noureïev, hélas ! ne l’a jamais été, même s’il fut souvent en revanche un excellent metteur en scène et sut monter des ouvrages qui aujourd’hui encore demeurent impressionnants de vie et de fantaisie. Son écriture n’a jamais été que celle d’un danseur virtuose accumulant à satiété les prouesses techniques, les difficultés perverses, au détriment d’un vrai style chorégraphique et d’une authentique émotion. Pourtant, dans cette « Cendrillon », il parvient à achever son ballet sur un très beau duo entre les héros du conte, la jeune fille longtemps humiliée et enfin triomphante, et son partenaire ici métamorphosé en acteur-vedette des studios de Hollywood. Ce rôle, le danseur étoile Hugo Marchand le sert magnifiquement. Il en a l’élégance et le style auxquels il joint une plastique de jeune premier. Avec son profil de médaille Renaissance, sa grâce ineffable, l’onctuosité parfaite de sa gestuelle et quelque chose de délicatement aristocratique, la danseuse étoile Dorothée Gilbert, qui fait un peu penser à Monique Loudières, porte quant à elle son personnage avec autant de douceur que d’éclat et de perfection.

Raphaël de Gubernatis

« Cendrillon », ballet de Serge Prokofiev, chorégraphie de Rudolf Noureïev, scénographie de Petrika Ionesco. Jusqu’au 2 janvier. Opéra de Paris-Bastille.

Visuel : ©Yonathan Kellerman/OnP

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Raphaël de Gubernatis

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