
Benjamin Millepied signe Roméo et Juliette La Suite à la Seine Musicale
Après deux ans de report, la création mondiale du ballet iconique « Roméo et Juliette » d’après la pièce de William Shakespeare par Benjamin Millepied avec sa compagnie, le L.A. Dance Project, débarque enfin à la Seine Musicale jusqu’au 25 septembre. Un spectacle entre danse, théâtre, cinéma et performance. L’attente en valait-elle la peine ?
Une proposition risquée
À en croire l’ajout de deux représentations, la réponse est oui ! Et pour avoir assisté à la première, c’est indéniable. Si sur le papier, la mise en scène de l’ancien directeur de la Danse de l’Opéra de Paris semble cocher toutes les cases des artifices contemporains ; dans la salle, elle prend une dimension holistique aussi puissante que bouleversante.
La dernière fois que Roméo et Juliette fut associé à Los Angeles, ce fut dans le film de Baz Luhrmann avec Leonardo DiCaprio et Claire Danes pour un résultat plus que discutable, laissant surtout derrière lui l’enivrant et très 90’s « Young hearts run free » interprété par Kim Mazelle.
Benjamin Millepied, qui avait perdu son souffle en tenant d’en donner un nouveau à l’Opéra de Paris, réussit avec cette adaptation un coup de maître sur l’iconique partition de Prokofiev, faisant fi de la pourtant quasi intouchable (pour les puristes du ballet classique) de Noureev.
Les amants maudits de Vérone
Est-il nécessaire de revenir sur l’histoire du couple d’amants maudits de Vérone ? Mais si tout a été dit, tout n’aurait-il pas déjà été fait ? Benjamin Millepied nous prouve que non avec son interprétation iconoclaste – pourtant porteuse de nombreux stéréotypes de la création contemporaine – : fluidité des genres, projection sur écran géant, musique enregistrée… Tous les ingrédients semblaient réunis pour une production qui manque d’âme… C’était sans compter sur l’intelligence et la finesse du chorégraphe qui réussit à tirer le meilleur parti de chacun de ces dispositifs pour créer une nouvelle forme de spectacle entre danse, théâtre, cinéma et performance.
Des codes contemporains maîtrisés
La scène est nue, derrière elle un écran, faisant redouter un dépouillement ascétique. Deux protagonistes rentrent en scène, suivis par un caméraman. Ils sont alors retransmis en direct, sur l’écran géant, qui, on le suppose, permettra d’avoir un autre point de vue sur les danseurs et offrira une excellente visibilité dans l’immense salle de la Seine Musicale. Mais très vite, les danseurs quittent la scène allant en coulisse. On s’aperçoit alors que la scène ne sera qu’in décor parmi d’autres, et que l’écran jouera lui un rôle titre. Comme dans un générique de film, le premier mouvement s’achève par l’inscription sur un mur de Romeo & Juliet – L.A Dance Project, et, surprise, ce sont deux hommes qui se positionnent sous le nom de chacun des héros.
Une mise en scène globale de génie
Le ballet se veut rythmé, avec une chorégraphie contemporaine qui rend hommage au ballet classique. Pas de pointes ni de costumes, les danseurs illustrent parfaitement la diversité de notre époque contemporaine avec une large palette de styles vestimentaires. Les mouvements suivants permettent d’avoir d’autres points de vue sur la scène, particulièrement une vue du dessus : c’est alors un tableau d’une esthétique folle qui se déploie. La perte de repères est efficace, tous les sens sont en éveil, et la musique diffusée sur les surpuissantes enceintes de la Seine Musicale font vibrer le corps jusqu’à l’intime.
Alors que l’histoire se met en place, l’action ne se joue plus sur la scène, mais bien partout, à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment – mettant le caméraman à rude épreuve – et offrant une narration unique. Si la Danse des Cavaliers prend place dans un espace très cloisonné où règnent boules à facettes, néons et miroirs infinis, le célèbre pas de deux du balcon se déroule, lui, pour notre plus grand plaisir à l’extérieur, mettant les lumières de la ville et la Seine en témoin direct de cet amour naissant.
Pour cette première, ce sont donc deux hommes qui jouent le couple maudit (le cast est tournant ainsi, vous pourrez retrouver deux femmes ou une femme et un homme, Benjamin Millepied souhaitant célébrer toutes les formes d’amour) et dans cette scène mythique, les deux danseurs (David Adrian Freeland Jr. et Mario Gonzalez) arrivent à délivrer une émotion, une puissance et une sensualité qui dépassent l’entendement, et, grâce à cela, les clichés.
Le cast parfait du L.A. Dance Project
À l’aide de néons ultra-puissants, la mise en scène en met également plein la vue et contrebalance avec les gros plans faits sur les visages de certains danseurs, qui se transforment en véritables acteurs : la beauté de leurs traits tout comme la véracité de leurs émotions transcendent la tragédie shakespearienne. Le ballet s’achève dans la même veine, et on ne peut que regretter que cette expérience ne dure qu’une heure et quart.
Ainsi, malgré tous les changements de paradigmes que cette mise en scène impose, elle ne trahit ni l’histoire ni n’occulte la puissance dramatique du ballet, au contraire elle la potentialise et atteint son but : réinventer à la perfection Roméo et Juliette et faire d’un chef-d’œuvre classique, un chef-d’œuvre contemporain.
Roméo et Juliette La Suite
Création mondiale de Benjamin Millepied avec le L.A. Dance project
La Seine Musicale jusqu’au 25 septembre : Réservations ici à partir de 45€
Crédits photo : affiche du spectacle : Matador © J. Rose – Photos spectacle ©Julien Benhamou