Danse
Ballets de Bali à la Philharmonie

Ballets de Bali à la Philharmonie

20 March 2023 | PAR Nicolas Villodre

Kati Basset et Jro Kartu ont mis en scène le spectacle en deux parties de musiques et de danses de Bali qui bouleversèrent Antonin Artaud en 1931 au point de lui inspirer une nouvelle théorie de l’art de la scène qu’on retrouve dans son célèbre essai “Sur le théâtre balinais”, partie essentielle du  Théâtre et son double.

Bali, le matin du monde

Agnès Montenay rappelle que c’est sous cette expression que Nehru avait surnommé cet îlot hindouiste qui a fusionné musiques, danses, marionnettes et rituels austronésiens, indo-javanais et chinois. Parallèlement ou peu après Artaud, d’autres intellectuels, artistes et chercheurs occidentaux s’entichèrent de Bali : Walter Spies, Murnau, Rolf de Maré, le fondateur des Ballets suédois et des Archives internationales de la danse, Jane Belo, Margaret Mead, Gregory Bateson, Colin McPhee, l’initiateur de la musique dite “répétitive”, etc. Rolf de Maré, à l’instar d’Anna Pavlova et d’Argentina, s’équipa en 16mm, ce qui lui permit de garder traces des danses balinaises et de la grande figure I Mario (I Ketut Marya), qui créa le Kebyar duduk en 1915. Cette danse masculine est présentée en première partie du programme de la Philharmonie, ainsi que celle, féminine, du Nandir.

Le gamelan Gong Kebyar, vingt-cinq instrumentistes de vert vêtus, anime, côté cour, la première partie du show, celle des “fleurons de la musique balinaise”. La deuxième partie est assurée par le gamelan Semar Pagulingan, installé côté jardin. Celle-ci, dédiée au legong kraton ou ballet royal narratif, est sensationnelle, fantastique et farcesque. Qui plus est traduite par des surtitres en français énigmatiques, introduisant de l’obscurité là où l’on s’attend à l’éclaircissement! Selon Kati Basset, le gamelan est un instrument collectif “joué par des dizaines de musiciens armés de marteaux (…) composé d’éléments (ricik) encore moins autonomes et plus inséparables que les touches d’un piano, car chaque gamelan a son propre accordage (…) [Ce sont] majoritairement des ensembles à percussions, principalement composés de carillons de gongs et de claviers de lames (en bronze, fer et/ou bambou). Toutefois, il existe aussi des formes de « gamelan vocal », dont le chœur Tjak/Kécak balinais” qui conclut le spectacle en conviant les musiciens des deux ensembles.

Gong et Legong

Henri Langlois suscita la réalisation de films d’art auprès d’amis cinéastes tournant en 16mm comme Kenneth Anger, Frédéric Rossif, François Reichenbach et Carlos Vilardebo. Certains n’aboutirent pas (on pense au projet de captation de La Table verte de Kurt Jooss), d’autres furent partiellement ou entièrement perdus (cf. Le Jeune homme et la mort d’Anger et La Petite Corrida de Picasso dont il ne reste que quelques photogrammes), Le Petit cirque de Calder fut une réussite. Des rushes de Legong Kraton pris par Jean Rouch et ses camarades lors du retour des danseurs de Seabatu à Paris, au théâtre Marigny en 1953, furent sauvegardés et montés dans le bon ordre à notre initiative  par Kati Basset avec Laurent Gentot. Il faut dire que Kati Basset avait réinvité la troupe de Sebatu en 1998 à l’Odéon, événement dont rendit compte alors, de manière brillante et détaillée, Marie-Christine Vernay dans Libération.

Qui, mieux qu’Artaud lui-même, pourrait décrire théâtre, musiques et danses de Bali? Sa perception d’alors n’a pas pris une ride : “Ce qu’il y a en effet de curieux dans tous ces gestes, dans ces attitudes anguleuses et brutalement coupées, dans ces modulations syncopées de l’arrière-gorge, dans ces phrases musicales qui tournent court, dans ces vols d’élytres, ces bruissements de branches, ces sons de caisses creuses, ces grincements d’automates, ces danses de mannequins animés, c’est : qu’à travers leur dédale de gestes, d’attitudes, de cris jetés dans l’air, à travers des évolutions et des courbes qui ne laissent aucune portion de l’espace scénique inutilisée, se dégage le sens d’un nouveau langage physique à base de signes et non plus de mots.”

Visuel : Danseuses du village de Sebatu dans le Nandir, “fleuron de la danse balinaise” – photo : Opus 64.

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Nicolas Villodre

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