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Alice, à Vaison danses, par la Cie B.Dance – un show spectaculaire made in Taiwan

Alice, à Vaison danses, par la Cie B.Dance – un show spectaculaire made in Taiwan

22 July 2023 | PAR Nicolas Villodre

Pierre-François Heuclin nous a permis de découvrir en première européenne, dans le cadre grandiose du théâtre antique de Vaison-la-Romaine, la pièce de Po-Chen Tsai et de la compagnie B.Dance, Alice (très) librement adaptée du conte pour adultes et pour enfants de Lewis Carroll.

Alice au pays de Marvel

Le spectacle tient du blockbuster à l’américaine avec, comme l’annonce le directeur du festival, ce qu’il faut en matière de “prouesses techniques, costumes haute-couture, jeux de lumière et scénographie”. Et avec une troupe nombreuse pouvant quasiment tout danser. Créée en 2021, la pièce tire avantage de la B.O. électro-acoustique de Rockid Lee, le compositeur attitré de Po-Chen Tsai, ainsi que des textures, des trames et des motifs abstraits signés Po-Chih Chang, vidéo-projetés sur huit tipis mobiles habités et animés par des danseurs ainsi que sur un grand écran faisant office de cyclo, vibrant suivant les mouvements des danseurs ou en contrepoint avec eux. Nul message autre que poétique : aucune parole ne vient expliciter, en préambule ou durant l’écoulement, les intentions du choré-auteur. La situation politique actuelle reste sous-jacente et est abordée allusivement, par clins d’œil et par sous-entendus. En conséquence de quoi la danse s’offre à nous directement, indépendamment de tout autre contenu. La présence du Consul de Taiwan à Vaison marquait néanmoins l’importance accordée par son pays à l’événement.

Difficile, par conséquent, de suivre les épisodes du récit abracadabrantesque d’origine. Voire de reconnaître certains de ses protagonistes, à commencer par le fameux lapin de la fable ou de la farce, personnage composite, au sens photographique du terme, résultant d’un collage surréaliste d’éléments prélevés à diverses sources. Le pantalon blanc du danseur peut certes rappeler la teinte du pelage du rongeur sans autre signe de dandysme du mammifère carrollien; la scintillante cagoule masquant l’identité de l’interprète (jusqu’au moment des saluts) pourrait être celle d’un catcheur mexicain; les deux très longues plumes de faisan le faisant comme grandes oreilles proviennent de certains opéras asiatiques et peuvent être associées aux élytres de cigales comme celles qui chantent tout l’été, toute la sainte journée, dont la cymbalisation, est étouffée à 22h par les épaisses pierres de l’amphithéâtre ou, plus probablement, par la fatigue des cicadés mâles et la fraîcheur nocturne. 

Le plus grand cabaret du monde

Alice se présente par une succession de tableaux qui permettent aux danseurs de briller en solitaire(s) et en duos pendant la première moitié de la pièce et, collectivement, par la suite, dans le deuxième acte du ballet, en formant des pyramides humaines et nombre d’autres structures biomorphiques. Par certains côtés, notamment les tenues d’un ou deux personnages vêtus comme l’as de pique (et on ne parle pas ici de la dame de cœur, très élégante, au contraire, en son écarlate tutu), on frôle, sinon le kitsch, du moins le goût de l’art plébéien – cf. le design de bonnets de natation pour bathing beauties et/ou de casques pour pilotes de VéloSoleX; la matière plastique tenant de lieu de brocart pour quelques costumes; les formes se référant aux personnages d’heroic fantasy comme le long manteau noir droit issu d’un épisode de Matrix. La pièce est, de ce point de vue, plus proche du show cabaretier prêt pour Vegas que de la pantomime, art typiquement romain qui dut jadis réjouir les citoyens du cru, ou de l’opéra classique.

Pierre-François Heuclin note que Po-Chen Tsai “a développé un langage chorégraphique et une esthétique uniques, en mariant les mouvements traditionnels asiatiques et les arts martiaux à la danse contemporaine.” Jean Couturier a, pour sa part, repéré en 2016, dans Floating Flowers, pièce présentée aux Hivernales d’Avignon, l’influence de Jirí Kylián et d’Hofesh Shechter dans la gestuelle de la compagnie. Question danse, la fusion de plusieurs disciplines, parmi lesquelles les arts martiaux et le hip hop fonctionne sans problème quoique le néoclassique domine. Parmi la quinzaine d’interprètes, sort du lot un costaud aguerri aux danses urbaines dont chaque intervention nous a paru remarquable. La danse d’ensemble avec les chapeaux de paysannes taiwanaises stylisés et colorés d’un rouge pétard produit un bel effet. C’est un ballet mécanique en soi, accompagné d’efficaces percussions. Il se prolonge un peu, en l’absence de pendrillons latéraux permettant de varier à l’infini les jeux d’éclairage initialement conçus pour un théâtre à l’italienne (non à la romaine), autrement dit pour l’indoor. Le finale oppose non plus des guerriers habillés en noir et blanc mais les deux figures que sont la dame de cœur, en rouge, et la virginale Alice, il va de soi(e), de blanc vêtue. 

Visuel : le chorégraphe Po-Chen Tsai (à droite) et notre confrère Jean Couturier, amis depuis 2016. Photo : Nicolas Villodre 2023.

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Tournée de la compagnie : Vichy, le 23 juillet 2023; Sisteron, le 25  juillet; Massy, les 17 et 18 novembre; Compiègne, le 21 novembre; Maubeuge, le 23 novembre; Thionville, le 25 novembre; Draguignan (Festival de danse de Cannes), le 28 novembre; La Rochelle, le  31 novembre et le 1er décembre; Brive-la-Gaillarde, les 5 et 6 décembre; Morges, le 12 décembre; Fribourg, le 14 décembre; Sceaux, du 19 au 21 décembre. En janvvier-févirer 2024, la Cie passera par Aschaffenburg, Sénart, Noisy-le-Grand, Meaux, Les Chapelles Bourbon, Bonn, Neuss, Monthey, Mérignac, Cholet, Lanester, Créteil, Joué-lès-Tours, Annemasse, le Mercat de Barcelone et Esch-sur-Alzette.

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