Philippe Cohen Solal : Papa Tango Charlie
L’écoute de l’album Tango y tango de Philippe Cohen Solal, dont la sortie est prévue le 5 mai 2023, donne envie de se rendre, du 10 au 27 de ce joli mois, au théâtre du Rond-Point, pour assister au spectacle éponyme, enrichi de deux actes scéniques, de démos tangueras et, pour paraphraser un des titres de films avec Carlos Gardel, des lumières de Buenos Aires.
Milonga de amor
La milonga désigne tantôt le “temps du tango” (celui dont traite un standard de Léo Ferré et Jean-Roger Caussimon), tantôt le lieu, certains types de chansons et de danses porteñas. La “Milonga de amor” est aussi le titre d’un morceau de Gotan Project, le groupe d’électro-tango que co-fonda Philippe Cohen Solal et que nous eûmes le plaisir de découvrir en 2003, au Palais royal, à l’occasion de la Fête de la musique. Par son style hybride, Gotan Project prouva l’un des premiers qu’on pouvait tout jouer, détourner, réinterpréter par la technique de son époque – la boîte à rythmes, le son synthétique, l’us de boucles, etc. qui prit le relais, sans se prendre au sérieux, de la musique concrète ou électro-acoustique d’un Pierre Schaeffer ou d’un Pierre Henry.
Le Gotan Project se référait clairement au Café Concert Gotan de Buenos Aires, “gotan” désignant en vesre (ou verlan), le tango. Quoiqu’il ait montré qu’il pouvait s’attaquer à tout style de chanson ou de morceau, du “Chunga’s Revenge” de Frank Zappa et ses Mothers of Invention (rebaptisé “La Revanche du tango”), au rythme complexe, aux compositions d’Astor Piazolla, le réformateur du tango, donc aux thèmes dissonants, sans parler du folklore et de la musique ancienne (cf. dans ce dernier CD, le “Pa’ que bailar”), Philippe Cohen Solal, ses musiciens et chanteurs, en particulier la Catalane fidèle Cristina Vilallonga, témoignent depuis toujours du plus profond respect pour la tradition d’un genre musical qui est à leurs yeux (et oreilles) indémodable.
La Muerte y la doncella
Tout cela peut être constaté dans les dix plages de l’album, de son ouverture à “Tangobsession”, bien plus classique, en passant par “La Yumba” qui progresse du grave à l’aigu, du terrien à l’aérien, pour rendre hommage au pianiste-compositeur Osvaldo Pugliese, ou par l’extrêmement lyrique “Hasta siempre amor”. La techno se fait sentir, sans jamais heurter, dans “Toda mi vida”, qui est selon nous le morceau de bravoure du disque, avec force citations en espagnol, commentaires poétiques à la gloire du bandonéon et à celle du maestro du soufflet Anibal Troilo, avec de suaves envolées des cordes insérées opportunément et rondement menées. La manière piazzollesque, on la retrouve dans “Tangalle Tango”. Est fait allusion au “vieux tango” dans “Incognita”, avec un son pauvre en fréquences, façon 78 tours des Années folles (on pense au tube “2’35” de bonheur” de Sylvie Vartan et Carlos) et le ralenti du gramophone manquant d’huile de coude.
“Tango y tango”, la chanson-titre de l’album, prend naturellement la forme d’un duo, non d’un couple mixte de danseurs, mais de chanteurs. Le final déjà cité pourra être diffusé tel quel sur FIP pour calmer les automobilistes parisiens, si tant est que cette station radiophonique survive au libéralisme pinchard. À une ou deux occasions, Cohen Solal s’autorise le parlé-chanté, variante du Sprechgesang d’Engelbert Humperdinck (cf. “La Chanson de Jeanne” qui rappelle le “Maintenant je sais” de Gabin, lequel débuta comme chanteur de java et de tango). Last but not least, comme on dit, on pourra réécouter ad lib. le succès en puissance qu’est “Alma en llamas”, classieusement démarqué de “La Muerte y la doncella”, autrement dit de Der Tod und das Mädchen de Franz Schubert.
Visuel : affiche de Stéphane Trapier pour le théâtre du Rond-Point.
