Pas d’individu isolé et Noir sur Blanc au Festival Musica
Ce samedi 24 septembre, nous étions à Strasbourg pour suivre une journée bien remplie du Festival Musica. Geneviève Murphy et Heiner Goebbels étaient au programme sonore et visuel de notre voyage…
Genevieve Murphy au Centre chorégraphique de danse de Strasbourg
Arrivés à Strasbourg sous un ciel couvert, trouvant la ville bruissante de vie et de monde, à l’heure où Musica et le Festival du Film Fantastique s’y déroulent, ainsi qu’une création à l’Opéra du Rhin, nous avons juste eu le temps de poser nos valises et de dévorer une flammekueche, avant de nous rendre au Centre chorégraphique de danse de Strasbourg pour la performance de l’écossaise Genevieve Murphy. Seule en scène, sur un plateau parfait, avec au moins deux tables de mixages et pas mal de ballons à gonfler en “live”, l’énergique et menue femme en blanc se produisait devant une petite salle pleine. I don’t want to be an individual all on my own (Je ne veux pas être un individu isolé) est une invitation ouverte à revisiter un anniversaire d’enfance. Nous sommes casqués pour l’évènement, point rouge sur la droite, avec un son binaural qui permet d’entrer dans un univers qui paraît pop (Grand-père prêtre défroqué, Grand-mère assez alcoolique…) mais qui devient très vite tristement déjanté. Chansons, électro, performance (changement de vêtements), illuminations de grimaces au néon, ASMR, poésie de parole et de son se mélangent dans 1h15 de performance qui laisse assez mélancolique. C’est audacieux, mais les tableaux se suivent plus qu’ils ne se répondent et l’on s’ennuie bientôt à voir trop d’effets brassés pour savoir nous toucher. Gageons que le spectacle va encore évoluer.
Heiner Geobbels au Maillon
En soirée, c’est au Maillon que nous nous sommes rendus, théâtre majestueux un peu en dehors du centre-ville. Malheureusement, nous avons raté la masterclass du grand dramaturge allemand Heiner Geobbels, mais nous avons hâte de voir sa pièce de théâtre musical Schwarz auf Weiss (Noir sur Blanc). Elle date de 1996, est inspirée par Edgar Allan Poe, Shadow, conseillée au dramaturge par son collègue Heiner Müller et c’est l’Ensemble Modern qui joue. La pièce commence avant même que l’on soit assis : les pupitres de l’orchestre ont muté en tables d’école, longilignes et nombreuses, réparties géométriquement en trois allées devant un grand mur blanc. Les musiciens s’activent et jouent sotto voce, le son monte passé 20h28 et tout a déjà réellement commencé quand la lumière de la salle s’éteint. Celle de la scène, orchestrée par Jean Kalman (qui propose aussi la majestueuse chorégraphie) est beaucoup plus chaleureuse et sensuelle que ce à quoi nous pouvions nous attendre au vu du titre. Les 18 musiciens sont habillés de manière un peu rétro : ces messieurs ont des bérets et ces dames des jupes à fleurs mi-longues avec des vestes en soie. La musique est bourdonnante, à temps joyeuse et flirte parfois avec la fanfare pour illustrer le propos d’un homme, un grand voyageur orientaliste en Egypte, qui a pris des notes de ce qu’il a pu observer après la peste. Que va-t-on retenir de son témoignage? Le texte, parfois dit deux fois en anglais et en allemand, résonne forcément autrement aujourd’hui par rapport à 1996. Le mouvement des musiciens dans l’espace est époustouflant : il y a les avancées et mise en espace autour des bancs. Un temps, l’ensemble se fait joueur, les raquettes et les balles tirant au sort les percussions et les pions d’un grand backgammon scandant le tempo. Le son et les ombres communiquent dans une utopie parfaitement synesthésique: à un moment le spectacle, c’est l’ombre portée des musiciens sur les murs du théâtre et leurs silhouettes en transparence derrière l’écran. Et puis, l’écran qui a porté des images comme des photogravures tombe, le double de banc apparaît pour démultiplier la procession, la cithare le dispute aux percussions. Le cadre tombe et se révèle aussi jaune et gourmand que la lumière, le saxophone fait planer un air de jazz sur l’épidémie. Enfin, les violonistes occupent l’espace dans un dernier ballet d’ombres qui transmuent l’image en son. Le noir tombe, sans brusquerie aucune et l’on se demande ce que l’on retiendra du témoignage, aussi elliptique que chatoyant… Un spectacle époustouflant, exigeant où le corps des musiciens est sublimé en matière de mémoire et de réflexion.
Nous quittons le Maillon ravis de toutes les questions posées par le spectacle et profitons de la nuit fraiche de Strasbourg pour voir la cathédrale et les queues devant les cinémas ! Demain, dimanche 25 septembre, ce sera le moment d’expérimenter Musica avec de petits enfants …Rendez- vous en nos pages pour plus de chroniques strasbourgeoises…
visuels (c) YH