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Knotfest + Hellfest, retour sur le marathon du métal

Knotfest + Hellfest, retour sur le marathon du métal

01 July 2019 | PAR Mikaël Faujour

Du vendredi 21 au dimanche 23 juin, s’est tenue la 14e édition du Hellfest (le 18e, en incluant le Fury Fest, qui l’a précédé de 2002 à 2005). Avec une fréquentation égale à celle de l’édition précédente (180 000 spectateurs) et une programmation pléthorique, le Hellfest a encore fait l’unanimité. Malgré l’annulation de dernière minute de la tête d’affiche Manowar, le festival a offert son lot de grands concerts, de révélations… et d’adieux.

Même en débarquant la veille de l’ouverture du festival, le capharnaüm est au rendez-vous, le trafic de cette petite et charmante ville de Clisson d’emblée saturé par un afflux de véhicules et d’hommes pour laquelle elle n’a pas été dessinée. Trouver un emplacement en tâtonnant par les rues des quartiers résidentiels prend quelque temps. Par chance, on trouve un large chemin herboré, avec quelques flaques d’ombres : l’idéal pour poser la tente. Comme de bien entendu, c’est l’apéro qui s’ensuit, avant de se rendre sur le site, qui a déjà ouvert ses portes, puisque, exception de l’année, la grand-fête démarre dès le jeudi. Le site étant disponible, le Hellfest a décidé d’y recevoir un mini-festival, le « Knotfest », festival conçu par le groupe états-unien Slipknot à la façon de prestations lors desquelles il est la principale tête d’affiche, au côté d’autres pointures du metal. Et pas des moindres, puisque son présents au rendez-vous : Sick of It All, Papa Roach, Ministry, Rob Zombie, Behemoth, Powerwolf, Amon Amarth, Slipknot et Sabaton. Rien que du très costaud.

À partir de 16h30, tous les groupes se partagent les deux scènes principales (Main Stages). Il fait déjà chaud et la boisson coule déjà à flots dans tous les bars du site. Le public est venu en masse – 37 000 billets auraient été vendus – pour cette affiche haut-de-gamme. À la clé, en particulier, une très bonne performance de Ministry, avec un set de sept chansons des trois albums de sa meilleure époque (1988-1992), alternant grands classiques (« Stigmata », « NWO », « Thieves », « Just One Fix », « Jesus Built My Hotrod ») et titres moins connus (« Deity », « The Missing »). Même si Ministry n’est pas un groupe taillé pour les stades et les scènes en plein air, la performance est solide, féroce et, si les chansons jouées ont déjà autour de trente ans, elles n’ont rien perdu de leur force.

Vient ensuite Behemoth, pas davantage taillé pour les concerts de plein air, tant l’atmosphère musicale convient à des petites salles fermées et à l’obscurité… mais qui livre un concert excellent. Tout à fait dans leur élément avec leur metal épique et grandiose, les Allemands de Powerwolf, menés par un chanteur charismatique, ont enchaîné avec un autre concert très réussi. L’occasion est venu de manger et on s’écarte de Papa Roach, sur fond de « Last Resort », l’énorme tube qui, en 2000 les avait vu exploser en plein essor du néo-metal. Après avoir participé aux Hellfest 2010 et 2011, puis y être revenu l’an dernier, c’est l’occasion de constater que la diversité et la qualité des options de restauration s’est considérablement relevée avec le temps.

Repus, nous revenons pour le concert de Rob Zombie. Entre les grands classiques (« Superbeast », « Living Dead Girl ») et deux reprises du meilleur effet (« Helter Skelter » des Beatles et « Blitzkrig Bop » des Ramones) et sur fond d’images issues du cinéma d’horreur et de série B, le groupe, à mi-chemin entre Cramps et Ministry, a offert un spectacle typique de son univers et de son metal industrialisant et dansant, conclu par l’inévitable « Dragula ». Ce sont ensuite les Suédois d’Amon Amarth qui ont pris le relais, avec leur death metal viking puissant, pour un concert lui aussi excellent, avant l’arrivée de Slipknot sur scène et de leur dispositif énorme, grandiloquent jusqu’à en avoir des airs de fête foraine. Tête d’affiche de son propre festival, le groupe de l’Iowa y a déroulé aussi bien ses tubes et classiques (« Psychosocial », « The Heretic Anthem », « Sulfur », « People = Shit ») que de plus anciens et grinçants morceaux (« (515) » ou « (sic) »), pour un show à l’américaine, à l’image de sa musique et qui est presque l’hyperbole de l’esprit états-unien tout court : beaucoup de brutalité, d’effets extérieurs, de technique – mais si peu d’âme, si peu à dire, si peu à signifier que cette tautologie de la technique, nihiliste, sans conviction ni combat ni vision, et qui ne trouve que la violence – ici musicale – et l’agitation sans but des corps pour seul exutoire.

Alcool aidant, la fatigue nous cueille et, comme une bonne partie de la foule qui reflue spectaculairement, nous nous retirons dans la foulée pour une nuit d’un repos bien nécessaire avant le marathon qui nous attend pour les trois jours suivants, avec un programme débutant à 10h30 pour s’achever à 2h tous les soirs !

Le lendemain, c’est donc le Hellfest, le vrai, qui démarre. Un certain goût de la paresse, de la lenteur et du camping, et le fait de sympathiser avec les voisins et d’avoir préalablement terminé tard dans la nuit avec eux, ne nous met en route qu’un peu tard, après une collation matinale assortie d’une vague toilette, prolongée ensuite dans l’espace toilettes/lavabos de l’espace VIP… qui nous fait rater, hélas, Klone. C’est donc avec Gloryhammer que débute la première journée, sur la Mainstage 1, plaçant d’emblée ce vendredi sous le signe d’un power metal épique, d’un kitsch assumé, qui prolonge celui de Powerwolf la veille et annonce Manowar, tête d’affiche du soir. L’univers visuel est évidemment ridicule, ce qui est un peu le propre du genre, théâtral et pompeux, mais la musique est entraînante, séduisante jusqu’à l’écœurement. Sur le même créneau, la scène Temple, dans un registre bien plus agressif, accueille Aorlhac, groupe français de black metal atmosphérique dont les albums témoignent des qualités. Mais la voix a quelque chose de foireux et nous prenons la direction de l’espace restauration, déjà chauffé par le soleil de 13h et où la foule est déjà en nombre. Après quoi, négociation de couple oblige, on alterne entre les vedettes du post-grunge Godsmack et de bons groupes sur de plus petites scènes : Trollfest, metal bouffon et festif sur la scène Temple, puis le psychédélisme envoûtant de My Sleeping Karma, déjà repéré en 2011.

Le grand moment de rigolade de cette fin d’après-midi, attendu par beaucoup, beaucoup de metalleux, c’est Ultra Vomit – groupe parodique capable de jouer La Chenille de la Bande à Basile… à la façon du death metal brutal de Cannibal Corpse ou de réécrire une chanson de Calogero (Face à la mer) à la façon des géants français de Gojira, pour un Calogira étonnant… pour lequel d’ailleurs le chanteur de variété et bassiste rejoint le groupe sur scène ; de faire une chanson dans le style d’Iron Maiden sur la base d’un jeu de mot stupide (Évier Metal) ou de parodier le punk politique de Tagada Jones dans Un chien géant, rejoint au micro par Niko, son chanteur, se prêtant au jeu de la parodie jubilante ; ou encore, de dérouler un Kaamthar à la façon de Rammstein, pyrotechnie incluse. Un des moments les plus gais du festival, incontestablement.

Chauffé dans la joie par le concert d’Ultra Vomit, le public prolonge – et nous avec – par le punk celtique des Bostonians de Dropkick Murphys, rehaussé de cornemuse et de flûtes. Entraînant, festif, excellent !

Le temps est venu de reposer gambette et foie déjà surchargé de rasades de bière. Direction l’espace VIP pour un moment de détente. Hélas, c’est le concert de Mass Hysteria qui y est projeté – mais heureusement, le son n’est pas trop fort… Le concert de Manowar ayant été annulé plus tôt dans la journée à cause d’un caprice du groupe autour de la mise en scène à leurs yeux insatisfaisante, nous prolongeons la pause, tandis que Sabaton, le lendemain de son concert au Knotfest, remplace au pied-levé les capricieux Nouillorcais qui la jouent façon Mariah Carey. On ne se lève que pour aller écouter un peu le stoner impeccable de Fu Manchu sur la scène Valley, avant de filer au concert du titan international qu’est devenu Gojira, premier groupe français de metal à atteindre une pareille stature – celle des plus grands – dans le monde du metal. À la clé, un concert extraordinaire de force, leur musique puissante, volcanique, déferlante et cependant subtile, volontiers aérienne en certains instants, s’accommodant curieusement bien de la Mainstage 2 et du plein air. L’épuisement nous cueille cependant avant la fin d’un set vu aux trois quarts – et qui était de tout premier plan.

Le lendemain matin, direction l’espace presse vers 11h, pour commencer, sur fond d’un vacarme peu propice à la concentration, un reportage pour le web de Marianne que je ne terminerai en fait que dans la nuit de lundi puis, péniblement, dans un Macdo vers midi. La journée de samedi sera, de fait, moins abondante en concerts, un peu vampirisée par l’écriture du reportage qui m’écarte une bonne partie de l’après-midi du site et de concerts que j’aurais aimé voir (Combichrist, Moonspell, Eagles of Death Metal…). Mais pas du concert de Dool, groupe metal aux relents légèrement gothiques mené par une chanteuse, positivement surprenant, mélodique et atmosphérique. Rien de révolutionnaire, mais un bon moment de musique. Sur la même scène, un peu plus tard, c’est le combo electro-punk Punish Yourself qui assure une excellente performance trois quarts d’heure plus tard, à renfort d’étincelles, de feu, de lingerie, de simulacres SM et d’une espèce d’ambiguïté sexy décadente. Groupe de scène par excellence, le groupe a encore une fois montré un talent pour le show égal à ses qualités musicales.

Après une grosse parenthèse au camping, à tenter d’avancer l’écriture du reportage, retour sur le site pour Candlemass, dont je découvre qu’il n’est plus emmené par le théâtral chanteur Messiah Marcolin, mais par Johan Längqvist, le premier chanteur du groupe, du reste, très bon. Le temps d’entendre le classique « Bewitched », nous quittons un concert un peu trop sage et prévisible pour aller voir les Allemands de The Ocean à la Valley, dans un papillonnement typique du festival. On se retrouve bientôt coincé dans l’abominable glu du hard FM des années 80 de Def Leppard, qui nous fait rater Myrkur. La flemme aidant, une longue pause à l’espace VIP nous fait zapper délibérément un set de ZZ Top pas très rock’n’roll, paraît-il, ainsi que le post-rock de Envy sur la scène de Valley… à regret, mais tant pis. Idem, une grosse flemme de retrouver Cradle of Filth et son black metal exagérément gothico-kitsch, on papillonne de rencontre en rencontre avant de se diriger à la Valley à minuit pour les Suédois de Cult of Luna et leur post-metal magmatique, pour en rester sagement là et rentrer se reposer.

Le lendemain, je bosse un peu le matin, avant de voir, priorité du festival, les Mexicains de Cemican, associant black metal et instruments traditionnels mésoaméricains, avec une dimension théâtrale – corps peints, personnage jouant le prêtre aztèque sacrifiant une victime et extrayant son cœur ou se livrant à toutes sortes de rituels de fantaisie. L’association, inhabituelle et exotique pour le public français, rappelle celle des Roumains de Negur? Bunget (instruments traditionnels roumains), des Mongols de Henggai (chant diphonique et instruments traditionnels) ou des Norvégiens d’Enslaved (chants vikings et instruments traditionnels scandinaves), par exemple. Un des concerts les plus surprenants et marquants du festival. Pas question de rater Yob, qui joue d’ailleurs juste à côté dans la foulée, à la Valley. C’est du bon, incontestablement. Et cependant, c’est trop proche de l’album, trop statique sans doute, ou peut-être n’est-ce pas l’heure : et difficile, généralement, en plein après-midi, malgré l’ombre garantie par le toit, de s’immerger pleinement dans des musiques aussi évocatrices, profondes, viscérales et cependant oniriques, alors qu’il fait plein jour et pleine chaleur dehors, où déjà on avoisine les 30°C. Résultat : je repars pour le camping, pour avancer l’écriture du reportage – et décide, hélas, de ne pas aller écouter le heavy/blues de Clutch, sur la Mainstage 1, de 16 à 17h… tandis que ma femme s’offre une après-midi de thrash metal avec Testament et Anthrax, ainsi de grunge avec Stone Temple Pilots entre Mainstage 1 et Mainstage 2.

Retour sur le site pour l’un des concerts que j’attendais le plus : Skáld, groupe lorrain créé en 2018 et dont l’originalité et la charme évident de la musique leur a valu d’être si vite invités au Hellfest (sans compter leur participation à d’autres festivals cet été, du Portugal à la Russie en passant par l’Allemagne et la Suisse… un phénomène qu’on n’a probablement plus vu dans la musique française depuis Noir Désir ou Gojira et d’autant plus surprenant que c’est le premier album du groupe). Avec sa musique folklorique sans rien de metal (le festival n’est d’ailleurs pas exclusivement un festival metal et punk – puisqu’il accueille des groupes de musique expérimentale), le groupe a l’étrange et heureuse idée de chanter des poèmes et mythes nordiques (les scaldes) en vieux norrois, avec des instruments traditionnels et des costumes vikings. Leur répertoire étant à ce jour composé d’un seul album, le groupe a même dû reprendre une de ses chansons pour achever son set, ce dont personne ne s’est plaint tant la qualité envoûtante du concert parlait pour elle-même. Sans le moindre doute, c’était le concert à ne pas rater – le concert qui donne d’autant plus envie d’aller découvrir le groupe dans ses futurs concerts en France.

Après quoi, tout le reste a paru un peu pâle : les papys sudistes de Lynyrd Skynyrd et leurs classiques (« Sweet Home Alabama », « Freebird », « Simple Man »), le tricottage du guitariste Slash, hautement technique et globalement chiant en dépit de son excellent chanteur Myles Kennedy (par ailleurs frontman d’Alter Bridge) et même le set assez linéaire de Slayer, qui a déroulé tous ses classiques pour ce qui était le volet français de sa tournée adieu. Un concert impeccable, comme de bien entendu.

La clôture, immanquable, c’était le concert de Tool, qui n’était pas revenu en France depuis 2006 et sa tournée de 10,000 Days au Zénith. Malgré quelques limitations vocales, Maynard James Keenan a su adapter son chant et le groupe a livré un concert puissant, envoûtant et psychédélique, assorti de jeux de lumière et d’un habillage vidéo sur écrans géants plein de mystère. Comme pour bien d’autres groupes, une scène ouverte n’est sans doute pas l’environnement le plus souhaitable pour le groupe, mais la performance livrée par le groupe a été à la hauteur de la longue attente du public. Après quoi, le rideau est tiré. Rendez-vous en 2020.

Visuels : MF

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