Chanson
Marcia Higelin “Je crois que toute promesse est parole morte”

Marcia Higelin “Je crois que toute promesse est parole morte”

17 May 2022 | PAR Jacques Emmanuel Mercier

Marcia Higelin vient de sortir son premier EP Prince de plomb, l’occasion pour nous de rencontrer une artiste forte, autant par son identité musicale que par sa personnalité. 

Prince de Plomb est votre premier projet en tant qu’EP, comment le vivez-vous ?

C’est une grande émotion. Je passe d’un single toute seule à deux singles toute seule et maintenant c’est un EP. Je suis donc accompagnée, je ne suis plus vraiment toute seule même s’il a été réalisé et créé dans mon coin ! J’ai tout de même maintenant un accompagnement pour sa distribution pour sa sortie, c’est comme si c’était une nouvelle étape qui avait été franchie, ça c’est exaltant.

Votre seconde chanson Nzolani est en Lingala, pouvons-nous en savoir un peu plus sur le projet ?

Disons que c’est une chanson que j’ai écrite comme cadeau d’anniversaire à mon amoureux. Il est Congolais et donc une de ses langues maternelles est le Lingala, c’est pourquoi je l’ai écrite comme ça. Après on l’a beaucoup aimée et il a eu envie de poser sa trompette dessus, à la fin. Désormais, il paraît évident que cette chanson doit sortir, mais ce n’était pas l’objectif initial. 

Vous avez écrit beaucoup de chansons avant la sortie de ce projet ?

Oui, énormément, j’en ai écrit dans le but de n’être jamais chantées ni partagées. J’en ai d’autres qui ont été écrites dans le but d’être partagées qui n’ont pas été partagées. J’ai commencé à sortir des projets en 2020 mais je compose, j’écris depuis très longtemps et des chansons finies, mixées, masterisées, j’en avais depuis 2015. 

Pourquoi cela ?

Pour plein de raisons. Par souci de perfectionnisme mais qui relève de l’auto sabotage surtout. Quand tu trouves que t’es jamais assez bien, que ce n’est jamais à la hauteur, tu ne sors jamais rien. Cela peut durer des années.  Aussi parce que j’ai j’avais un certain entourage dans lequel on était parti sur une sorte de stratégie qui n’allait nulle part. Par exemple à chaque fois que l’on enregistrait un super son, on y croyait à fond. On disait « mais pour ça il faut un super clip, pour avoir un super clip faut un super budget, pour avoir un super budget il faut d’abord qu’on fasse l’autre projet » et au final, ça n’allait nulle part.  Du coup un jour je me suis dit quand j’ai sorti mon premier single Too many Shadows « maintenant j’arrête ça, c’est pas parfait, c’est pas clipé, j’ai pas de budget, il n’y a pas d’attaché de presse, c’est pas grave, je sors ». J’ai sorti d’abord celui-ci, ensuite un mois après je me suis dit j’ai ce single qui est mixé,  j’avais quand même fait écouter à ma sœur,  mon entourage proche, mes amis. Ils avaient tous été touchés. Fallait que je le sorte j’ai dit « bon, bah, c’est parti… » et c’est comme ça que j’ai cassé le cercle de je reste dans ma chambre et rien n’en sort. Voilà !

Vous dites écrire vos textes, comment cela vous viens ?

Ça dépend, quand je sais de quoi j’ai envie de parler ou pas. Généralement j’ai deux options. Soit je mets le texte d’abord et ensuite je trouve la mélodie et dans ce cas-là le texte après ne va pas forcément être adapté parce qu’il y a des soucis de syllabes, de longueur, de temps etc… mais sinon en général, c’est vrai que comme beaucoup d’artistes aujourd’hui je pense, j’ai une mélodie d’abord et ensuite les mots qui viennent. Ensuite, les mots sont retravaillés pour pouvoir vraiment affiner le sens, aller au plus pointu de ce qu’on veut dire. Je pense qu’il y a des chansons que j’ai dû réenregistrer alors qu’elles étaient déjà bien finies parce que j’avais retravaillé le texte et que j’ai eu envie de le réécrire comme Prince de Saba par exemple qui est dans l’EP.

Avez-vous beaucoup retravaillé le projet ?

Oui par exemple, le label avait reçu l’EP fini et je leur ai dit « Attendez ! Prince de Saba j’ai décidé de refaire le refrain. » A la base il n’y avait pas le refrain bla bla bla, je faisais pas du tout ça. En fait un jour je trouvais qu’il y avait un truc qui manquait dans cette chanson, je ne savais pas quoi. J’étais dans mon petit studio et j’écoute et puis je me dis : bon, je vais chercher une mélodie. Ah ! je ne trouve pas, bla bla bla c’est ce que j’ai sorti comme ça. Je me suis dit mais en fait c’est tout ce que j’essaye de dire dans toute la chanson, c’est ça en fait. Parce que c’était nul c’est du bla bla bla, c’est du n’importe quoi !  Donc là c’est comme ça ! Ouais ! ça s’est passé comme ça.

Il y a quelque chose qui est très travaillé sur l’ensemble des chansons, on a l’impression  qu’il a un univers qui est déjà bâti, est-ce que pour vous c’était important d’avoir cette unité-là ? d’avoir déjà une identité d’artiste aussi construite ?

Oui, je ne pensais pas que c’était le cas. Ça me fait très plaisir que vous l’ayez ressenti comme ça. C’est ce que je voulais mais je n’ai pas l’impression d’avoir réussi.  J’avais envie, parce que justement comme je  l’ai dit, j’ai tellement travaillé dans mon coin.  Ça fait… 10 ans à peu près que j’ai des chansons qui sont à moi, que j’écris et que je compose mes propres titres. Ça fait des années que j’enregistre, que je mixe, que je retravaille, que je masterise, que je réenregistre, que je retravaille et je reste malgré ces 10 années de carrière dans ma chambre.

C’est un peu nouveaux tout ça pour vous ? 

Oui, j’ai quelque chose un peu à me prouver à moi-même. Je n’avais pas envie d’arriver avec quelque chose de très débutant et pourtant je découvre que c’est obligatoirement le cas même si t’as 10 ans de carrière dans ta chambre. Tu n’as pas eu l’expérience de ce que je suis en train de découvrir en ce moment. Le retour de l’autre, de la construction en équipe, c’était des choses qui m’étaient inconnues. C’est parce que tu as les retours de label, par exemple. Du coup, disons que j’ai essayé au maximum d’apporter quelque chose du plus concret, du plus installé possible. Quelque chose qui permette tout de suite d’entrer dedans, un monde avec quand même suffisamment de toits et de murs pour que ce soit cohérent pour l’auditeur mais je n’avais pas particulièrement l’impression d’avoir réussi encore. Mais tant mieux si pour vous c’était clair !

 On a vraiment l’impression que le projet raconte une histoire. C’était prévu comme ça ?

C’est vrai que ce projet raconte une histoire et cette histoire-là est dans toutes les chansons. C’est la base  de mon  univers. C’est l’histoire des illusions romantiques, c’est quelque chose qui nous concerne, qui convient à tous et qui est souvent très, très douloureux, plus douloureux que ça ne devrait l’être parce que il n’y a pas mort d’homme et pourtant ça a inspiré plus d’un projet musical. Je suis passée par des phases de profondes incompréhensions, de colère, je n’ose presque pas le dire, mais de douleurs. Du coup, sur scène je me suis dit que j’ai de la chance d’être artiste parce que je ressors avec quelque chose. Je me disais franchement que les autres, s’il y en a certains dans la salle qui ne sont pas artistes, désolée, parce que vous sortez de ce genre d’histoire juste avec les boules quoi ! (rire). En fait non, on en ressort toujours grandi mais c’est vrai que c’est lourd ce genre d’histoire, ça peut durer des années la post rupture, c’est ce chemin, c’est un peu comme certaines phases du deuil. Enfin, j’ai un peu raconté plusieurs phases en tout cas de mon deuil.

Donc chaque chanson correspond à un état d’une relation ?

Plus ou moins oui. Mélopée d’infortune ça raconte comment je me mets dans des situations dangereuses. Mauvais sort c’est quand je suis dans le déni total et que je veux sauver mon homme, quand je me dis mais en fait c’était n’importe quoi, tout ça n’était qu’illusion. La dernière phase du couple m’inspire aussi. Cette dernière phase, c’est quand t’es à deux doigts de la rupture mais que d’un coup t’as une espèce de souffle, d’illusion qui te prend comme ça, tu te dis « Non… mais lui et moi on est fait l’un pour l’autre. De toutes les manières, je peux tuer ou mourir pour lui pas de problème. »  On voit bien que c’est complètement insensé, pourtant je l’ai écrit au premier degré, j’étais encore avec lui au moment où je l’écrivais. « tuer ou mourir ce n’est pas un problème » En me disant  c’est bien ça va lui faire plaisir mais après je me suis rendue compte de ce que ça voulait dire ! c’est vrai que ça raconte chacune un peu une phase de cette histoire.

Question sur la fin d’ailleurs de Mélopé d’infortune. Les cris d’éléphants, c’était pour quoi ?

Je ne sais pas, c’est pour moi le monde animal c’est un peu comme l’océan, c’est un truc qui est immense  qui nous dépasse de loin et pourtant auquel on a souvent l’habitude de se comparer. On a l’habitude de penser qu’on est supérieur aux animaux, on a l’habitude de penser qu’on est minuscule face à l’océan et moi j’ai beaucoup entendu ça et je me suis jamais retrouvée dans cette vision-là. Par exemple, face à l’océan une fois j’étais sur l’île de Ngor au Sénégal avec une amie. J’adore cet endroit, c’est vraiment panoramique, c’est un endroit où vont beaucoup les surfeurs parce qu’il y a d’énormes vagues et elle me disait « Oh là ! là ! je me sens minuscule » je disais « Ah bon ! moi je me sens gigantesque » j’ai l’impression de faire partie de ça, d’un tout, je suis là aujourd’hui, maintenant face à cette immensité qui est là aujourd’hui, maintenant on fait partie du même tout.  Je ressens la même chose par rapport au règne animal. Je le trouve grandiose, c’est des animaux incroyables qui viennent de millénaires, j’ai tellement l’impression d’en faire partie, je suis pareille. Du coup c’est vrai que des animaux comme la baleine, le chien, le lion et l’éléphant ce sont ces quatre animaux dans lesquels je me retrouve énormément. C’est ça que j’essaie d’encapsuler dans un EP.

Quels sont vos projets pour la suite ? Une envie d’album peut-être ? 

(Rire) C’est la question que mon entourage professionnel me pose. Pour moi c’est assez clair que j’ai envie de partir directement sur l’album. J’ai déjà plein de chansons en désespoir de mon Label qui m’accompagne pour l’instant que sur l’EP. Mais d’abord on a envie de le faire vivre, mais c’est vrai que je suis déjà en train de composer ce que j’aimerais être mon premier album en tout cas. Mais je ne sais pas, j’ai pas encore suffisamment de visibilité aussi sur l’accueil de cet EP là pour pouvoir me projeter. Pour voir aussi comment il sera accueilli par le public  comment va-t-il  être accueilli tout au long de l’été. À la rentrée, on va encore pouvoir le faire vivre un peu sur scène jusqu’à cet hiver et ensuite on va voir. Mais sur mon live on peut déjà entendre certaines chansons qui seront dans mon prochain projet.

Quelles seraient les influences majeures de cet EP ?

Très bonne question… je ne sais pas. J’ai écouté énormément de musiques toute ma vie. Je pense que depuis cet EP, je tombe sur des trucs mais je n’écoute plus beaucoup de musiques. Après cet EP je vais essayer d’aller chercher une certaine poésie chez « les vieux ». Dans Bad boy d’Yseult par exemple, j’ai trouvé une écriture extrêmement pointue. Je trouve que ce qu’elle propose est extrêmement fort et j’aimerais me diriger vers ça.

 Quand tu dis « les vieux » tu veux dire qui ?

(Rires) En français j’ai écouté Jacques Brel pour son écriture et après il y en a plein que j’adore. Ferrat, je trouve que c’est super fort et puis il y a Édith Piaf. J’essaie d’aller chercher la profondeur et l’élégance dans cette époque que j’aime beaucoup. Pour  Prince de Saba j’ai écouté beaucoup de choses de non français, plutôt du Moses Sumney, un américain incroyable. Des musiques néo classiques et des classiques contemporains comme Philippe Glass, Ludovico Einaudi, James Blake, Samthing soweto, Omar Sosa…

 

Votre nouvel album aura un peu ce style ?

Je pense que ça sera un peu différent. En écoutant « les vieux » j’ai aussi découvert le fado et cet univers très français. Pendant la création de l’EP j’ai eu un déclic que j’ai à moitié utilisé pour cet EP et à moitié mis de côté pour un prochain projet. Le déclic concernait le genre que j’avais envie d’explorer et de développer. Je me suis dis qu’on entendait plus beaucoup de chanteuses françaises à voix. Il y a une sorte de tradition qui s’est construite dans la chanson française, quelque chose de très parlé, très  « gainsbourien » qui vient de cette époque-là et qui est devenue un classique français. OK, c’est une bonne chose mais je trouve qu’il n’y a pas que ça ! Quand on regarde un petit peu, avant il y avait des voix très techniques et des chants très puissants qui ressemblent à ce qu’on peut entendre en Italie, en Espagne ou même en Corse. Ce sont des morceaux plus chantés. En même temps il y a aussi cet aspect  texte que j’aimerais bien réentendre des chanteuses françaises qui ne chantent plus. On trouve cela dans ceux qui viennent des États-Unis et j’aimerais participer à ça.

A propos du choix de votre nom : Marcia Higelin. On a l’impression que vous voulez affirmer votre identité, or votre nom fait aussitôt penser à votre grand-père Jacques Higelin. Pourquoi avoir quand même gardé ce nom ? 

 Il y a eu tout un cheminement. Au début j’avais un groupe rock. Quand j’ai débuté plus sérieusement j’étais Marcia totalement anonyme, c’était en 2015. J’ai fait des shows, des résidences artistiques, des  concerts. Je suis allée au Sénégal et j’ai compris que pour le public je suis Marcia Higelin avant tout. J’ai voulu changer de direction, j’ai voulu faire des set up, le choix du nom en a fait partie. Comme les gens me ramènent tout le temps à ça autant y aller ! De toutes les manières je sais qui je suis, c’est ce qui est écrit sur mon passeport. Et du temps où je me présentais en tant que, juste Marcia, c’était comme si je ne l’assumais pas complètement. Là, au moins c’est clair. On m’a même proposé Marcia H… ça aurait été pire ! De toute façon la curiosité est là pour les médias et cette question revient souvent. Maintenant, me présenter en tant que Marcia est plus simple.

Dans vos textes vous parliez tout à l’heure de désillusions amoureuses, ça semble être un sujet très important pour vous.

Oui. Bien sûr que ce sont des situations qui m’ont terriblement touchée et j’ai eu besoin de l’exprimer. Je vais peut-être y revenir. Et à chaque fois je vivais ça à fond de la racine des cheveux jusqu’aux pieds. En plus je fais bien la différence entre désillusion et déception. Dans la désillusion tu attends quelque chose de l’autre qui était une sorte de fantasme. Attendre autant de quelqu’un même s’il te promet tout. C’est très dangereux et complètement insensé parce que je crois que toute promesse est parole morte. La seule chose vraie dans une promesse c’est l’intention. Sinon c’est un mensonge en son essence puisque de toutes les manières on ne sait pas ce qui va se passer plus tard. On ne peut pas dire à quelqu’un je vais rester avec toi pour l’éternité. Il n’y en a pas à priori. Ou bien, je t’aimerai toujours ! Qu’est-ce qu’on en sait ? Je l’ai déjà dit et en fait c’était vrai à ce moment là où pour un an et demi (rires). Et du coup, ça me fait mal quand je me dis que moi j’ai été la désillusion de quelqu’un.

 Quelle serait votre définition d’un artiste ?

Il y a toujours des débats. L’art ? Les artistes ? Un artiste est peut-être quelqu’un qui a un besoin qui dépasse toute entente de transcender quelque chose. Ça doit être une nature. Ce qu’on fait, est-ce que c’est de l’art ? Je n’en sais rien. L’artiste est dans la sincérité, l’authenticité de la démarche. C’est vraiment le fait de ressentir. Voir, expérimenter quelque chose et d’avoir besoin soit de le raconter , soit de l’écrire, de le dessiner, de le chanter.

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