Musique
Concert Einstein on the Beach de Philip Glass à la Philharmonie

Concert Einstein on the Beach de Philip Glass à la Philharmonie

17 November 2022 | PAR Didier Duplenne

Cette année encore Philip Glass est à l’honneur à la Philharmonie de Paris, qui présente pour trois représentations Einstein on the Beach, son premier opéra, en version concert scénographié.

Premier opéra qui propulsa Wilson et Glass en 1976

Cet opéra, créé à Avignon dans le cadre du Festival en 1976, est une œuvre majeure dans le travail du compositeur américain, le projetant sur la scène internationale et lui permettant de faire un cross-over vers un public plus large, au-delà de ses seuls amis artistes plasticiens et écrivains d’avant-garde new-yorkais qui jusqu’alors avaient accès à son œuvre, jouée dans des lofts de Soho.

Einstein on the Beach, à l’inverse d’un opéra classique, a en fait trois co-auteurs : Glass le musicien bien sûr mais aussi, d’une importance égale, Bob Wilson le metteur en scène et Lucinda Childs la chorégraphe qui ont travaillé de concert pour créer un spectacle total envisagé dès le départ comme un tout. Opéra sans intrigue, sans rôle de prima donna, d’une durée de 5 heures, alternant scènes totalement abstraites (les ballets de Childs), scènes semi-figurative (un tribunal, un train), sur des textes consistant en une poésie pop de Christopher Knowles ou des suites de nombres ou de notes répétées à l’infini (One, two, three…, ou Do Ré Mi…).

Une collaboration scénographique et musicale efficace

Le concert présenté ce soir est une production de l’ensemble de musique contemporaine bruxellois Ictus, du brillant Collegium Vocale de Gent (créé par le grand chef Philippe Herreweghe) et mis en scène par l’artiste plasticienne et scénographe néerlandaise Germaine Kruip. 

Le souvenir très fort des éblouissantes représentations de l’opéra données au Châtelet en 2014* nous faisait craindre que la musique de Glass, même réduite à 3h30 mais sortie du contexte de la représentation opératique totale, manque un peu de souffle ou ne se suffise pas à elle-même… ce ne fut pas le cas !

Quand nous pénétrons dans la salle, la musique a déjà commencé, très basse, et Suzanne Vega, la chanteuse pop/folk new-yorkaise, qui sera la récitante, est déjà sur scène, assise côté cour, immobile, habillée de noir, nous faisant entrer tout de suite dans le spectacle.

La scénographie de Germaine Kruip est assez légère : le fond de scène noir, le placement des pupitres (qui change en fonction des besoins de la partition), l’éclairage, plus présent, passe du chaud au froid, du concentré au flou, se focalise sur une partie ou se déplace vers la salle, passe au rouge intense quand la musique se fait plus improvisée et progressive, et les musiciens, eux, ont des vêtements choisis.

La musique de cette œuvre n’est pas à priori “facile”, elle est inspirée dans sa structure, par la musique classique indienne que Glass connaît bien puisqu’il a travaillé très jeune pour Ravi Shankar, alors qu’il étudiait en même temps à Paris auprès de Nadia Boulanger**. Elle consiste en des séquences de 10-15 mn, de boucles répétitives avec micro-variations mélodiques et rythmiques, un peu hypnotiques, un peu entêtantes, difficiles pour l’orchestre, difficiles pour les chœurs. Mais le génie de Glass, le talent et la précision des musiciens et des choristes font de ce concert un moment merveilleux, touchant plus aux émotions qu’à l’intellect. “Prematurely Air-Conditioned Supermarket”, un des morceaux les plus remarquables de l’œuvre (on serait tenté de dire, son single, son hit), au milieu du concert, fut un des moments les plus beaux, l’accord de l’orchestre, des chœurs et de la voix claire et sans vibrato de Suzanne était parfait et vibrant.

L’orchestre et les chœurs étaient dirigés en simultané, et avec élégance, par Michael Schmid et Tom De Cock, dont les mouvements semblaient avoir été chorégraphiés, ajoutant au plaisir de la musique, en en soulignant visuellement la structure.

On aurait peut-être souhaité une mise en scène plus présente, plus forte, plus en accord avec la puissance de la musique, bref, plus spectaculaire, mais c’est sans doute parce qu’on gardait en tête les images de l’Opéra conçues par Bob Wilson.

Même si sa musique reste surprenante, Glass est devenu un compositeur classique, ses concerts font le plein, et on espère que la Philharmonie continuera à programmer encore souvent ces œuvres. 

France Culture propose en podcast une passionnante plongée dans les réactions du public et des intervenants captée lors de la création en 1976  Avignon, premier choc répétitif signé Philip Glass

* Très belle captation disponible en DVD  – Théâtre du Châtelet – EAN : 0809478011781.

** Paroles sans musique, Philip Glass (né en 1937), éd. La Rue musicale, label de la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris, 384 p., 26€

 

Visuel : © Einstein on the Beach avec Suzanne Vega par Maxime Fauconnier

Sur les routes avec Lucie Azema
L’écrivain Roberto Saviano est attaqué en diffamation par Giorgia Meloni et risque trois ans de prison
Didier Duplenne

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration