Classique
Strauss, Mahler, Gergiev, Damrau: carré d’as à la Philharmonie

Strauss, Mahler, Gergiev, Damrau: carré d’as à la Philharmonie

08 February 2020 | PAR Lise Lefebvre

Les Münchner Philarmoniker, avec Valery Gergiev à leur tête, ont donné une éclatante 5e symphonie de Mahler ; elle était précédée des Vier Letzte Lieder de Richard Strauss, portés jusqu’au sublime par la grande Diana Damrau.

 L’ambiance était effervescente, hier soir à la Philharmonie. Peut-être l’euphorie du vendredi soir, ou la séance de dédicace de Diana Damrau, promise pour l’entracte… Toujours est-il qu’il y régnait une joie et une excitation presque festives. Et ce fut une fête, en effet. Une fête pour les yeux et les oreilles, une fête pour les cœurs et les âmes. Avec les Quatre derniers Lieder de Strauss,  Diana Damrau a rappelé quelle superbe interprète elle est. La ligne de son chant épouse sans effort apparent la mélodie jouée à l’orchestre, sa diction, parfaite—le fait qu’elle soit allemande n’ôtant rien à son mérite—restant au service d’un phrasé très expressif. On pourrait objecter que sa voix se durcit un peu dans certains aigus… Mais la beauté envoûtante de ses piani, la chaleur de son medium, et surtout l’intelligence d’un texte qui est joué, incarné autant que chanté, font vite oublier ce détail. Strauss n’est pas Schubert, et dans ces lieder précisément, la voix, confrontée à un orchestre symphonique, doit être capable de rester dans un format « opéra », tout en gardant la subtilité d’une mélodiste. Ce que Diana Damrau a réussi admirablement, certains mots, chuchotés, parlés presque, rapprochant le public de l’intimité de son chant. Menés par un Gergiev toujours aussi essentiel dans Strauss, les Münchner Philarmoniker ont porté la chanteuse avec une belle sobriété, sans que soit perdue la richesse foisonnante du tissu orchestral ; dans son solo pour Beim Schafengehen, le premier violon a offert à la salle un moment de magie pure, qui faisait monter les larmes aux yeux. Après la fin du dernier lied, il y a eu ce silence qui précède parfois les applaudissements, quand c’est si beau qu’on a peur de rompre le charme. C’était un de ces moments rares.

Une Cinquième de Mahler vivante et passionnée

Avec la cinquième de Mahler, l’atmosphère changea du tout au tout. Énorme machine, dont on connaît surtout—merci Mort à Venise—le sublime Adagietto, cette symphonie est traversée tour à tour par la peur de la mort, par les affres du désir, par le triomphe et la révolte… et débute sur une marche funèbre. Ambiance. Mais c’est là que Gergiev a fait merveille. Il a mené son orchestre à travers tous ces orages, sans jamais s’appesantir ni se complaire. Il est parvenu à alléger cette partition monumentale, sans la priver pour autant de ses innombrables facettes, en faisant même briller des nuances inattendues—on entend de la tendresse dans le mouvement marqué « orageux », et même un certain humour dans le Scherzo, écrit sur un tempo de valse aux accents viennois. Le patchwork insensé qu’est ce même mouvement (avec un solo de cor magnifiquement exécuté, et juste après  un passage « chambriste », que n’aurait pas renié un compositeur baroque) est assumé, revendiqué même, par un Gergiev qui tient les rênes de son orchestre avec une précision extrême.

Le fameux Adagietto, dépouillé ici de toute complaisance, faisait plutôt entendre un temps suspendu certes, mais où l’on sent bouillonner la vie, l’incertitude, la violence du désir. Enfin, la légèreté presque joueuse du Rondo final, avec sa fugue, a achevé de convaincre un public transporté de l’idée qu’on peut écouter une symphonie de Mahler pendant plus d’une heure et en ressortir avec un sourire jusqu’aux oreilles. Pari tenu, et magistralement gagné.

Visuel: © Lise Lefebvre

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Lise Lefebvre

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