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Samuel Jean : “On ne travaille pas “La folle aventure de Broadway” comme une symphonie de Mozart”

Samuel Jean : “On ne travaille pas “La folle aventure de Broadway” comme une symphonie de Mozart”

23 May 2019 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Samuel Jean, a été nommé en 2012 Premier Chef Invité de l’Orchestre Régional Avignon Provence. Nous le rencontrons, à Avignon, la veille de l’unique représentation du très jazz La folle aventure de Broadway

Vous êtes le premier Chef Invité de l’Orchestre Régional Avignon Provence. Qu’est-ce que cela veut dire, quelle est votre fonction ?

Premier Chef Invité, c’est la même fonction qu’un directeur musical. C’est juste une appellation différente. Cela se passe sur proposition aux tutelles du directeur général.

C’est un travail uniquement artistique, ou c’est aussi un travail de politique culturelle plus global ?

Tout est un peu lié, mais c’est surtout artistique. C’est avant tout un travail avec l’orchestre. Dans la salle de répétition, il faut faire en sorte que l’orchestre progresse, soit le plus cohérent possible. A côté de cela, il y a tout un travail de programmation avec le directeur général, le public, les tutelles. Je suis le porte-parole de la politique artistique de l’orchestre, je promeus également des idées. Mais le sel du travail, c’est le travail avec l’orchestre.

Qu’est-ce qui a changé depuis que vous êtes arrivé à l’orchestre ? Avez-vous mis en place des choses particulières, artistiques ou autres, dont vous aviez envie ? Comme par exemple faire dialoguer le jazz et le classique ?

Déjà, c’est un orchestre qui n’avait pas une grande identité dans les années 2008-2009, il n’était pas très connu au niveau national, et même au niveau local ! Nous avions besoin de trouver une identité. D’autant plus que nous sommes un orchestre autonome : nous avons un partenariat avec l’Opéra d’Avignon, mais nous pouvons jouer dans d’autres opéras. La première chose importante fut donc le développement de l’action culturelle, inexistante auparavant. L’orchestre est aujourd’hui très réputé à ce niveau, c’est 20 à 25 % de notre activité. L’action culturelle, c’est donc tout le travail avec les nouveaux publics, majoritairement le jeune public, mais aussi dans les quartiers, les prisons, avec les enfants.

Que faites-vous par exemple dans les prisons, les quartiers ?
On va y jouer de la musique, on présente des œuvres 2 ou 3 fois par an. C’est toujours des moments assez forts, auxquels je suis très sensible, car je sais que la musique classique peut toucher beaucoup plus de monde qu’on ne le croit. Dans les quartiers, on a fait récemment un programme incroyable, Le Grand Ensemble, où nous jouions depuis les balcons. On mène également un travail important auprès du jeune public, on amène les enfants à l’Opéra pour écouter l’orchestre.

Comment vous préparez tout cela, comment ça fonctionne ?
On peut compter sur l’aide de notre chargée des actions culturelles, Anne-Laure Correnson, qui est absolument remarquable et qui fait un énorme travail. On a aussi de fortes relations avec le tissu associatif, l’Education Nationale, la mairie, l’agglomération…

Par exemple, les musiciens interviennent dans des écoles ?
Oui, on a un système qui s’appelle le “Pom’s Concerts”, où jouent des musiciens par groupe de deux ou trois. Ils interviennent entre 60 et 80 fois par an dans des écoles. En ce moment, on fait une création contemporaine avec la fondation Lambert et Pascale Jakubowski, dans laquelle les enfants interviennent. Et ça nous arrive parfois de jouer des choses plus traditionnelles, comme Pierre et le Loup. C’est donc un aspect important développé à partir des années 2009-2010, avant mon arrivée. Et je me suis ensuite inscrit dans ce projet, car en tant que Premier Chef Invité, je n’ai pas voulu faire seulement des choses prestigieuses, comme les spectacles d’abonnement, mais aussi ce genre de projet.

Quelle est l’autre partie du travail ?
L’autre partie du travail, c’est justement toute la politique d’abonnement pour les concerts symphoniques. Autrefois, l’orchestre était programmé par-ci par-là, de temps en temps, mais maintenant il y a un rendez-vous régulier une fois par mois : un grand concert symphonique avec des projets très variés, on propose un tour d’horizon depuis le baroque jusqu’à la musique contemporaine.
On doit aussi s’occuper de nos partenariats, car l’orchestre est en fosse dans beaucoup d’opéras.
Et surtout, une chose importante en terme d’image et notoriété fut le développement de la politique discographique, puisque l’orchestre a enregistré neuf disques depuis 2011. On a eu des beaux labels.

Est-ce que vous pouvez nous parler du dernier disque qui vient de sortir ?
C’était la SADMP de Louis Beydts, une opérette d’un compositeur bordelais des années 1930 absolument génial. Dans ce cas, on enregistre sans public, en studio.
Récemment, on a fait beaucoup d’ouvrages lyriques légers comme Le Docteur Miracle de Bizet, L’Amour masqué de Messager, on enregistre avec Emmanuel Ceysson, on a enregistré Nathalie Manfrino, Jean-François Borras, ou des extraits d’opéra, Carmen, Butterfly, Peter Pan d’Olivier Penard.
On a donc une politique discographique forte. C’est donc un orchestre très habitué à enregistrer. Cela nous donne une image au niveau national, voire international.
Après, il y a beaucoup d’autres choses. Quand je suis arrivé, je trouvais cela incroyable que l’orchestre d’Avignon ne joue pas dans le cadre du Festival d’Avignon, donc on a fait trois projets avec eux, dont deux à la Cour d’honneur, on a fait la clôture en 2015 avec Robin Renucci, avec l’Homériade de Martin Romberg, c’était un grand moment. Et puis la qualité intrinsèque de l’orchestre a beaucoup progressé, on a vraiment un orchestre performant. On a aussi eu du sang neuf, avec pas mal de recrutement ces derniers mois, ces dernières années, ce qui amène une forme d’enthousiasme. C’est un orchestre qui est dans une bonne forme artistique.

En ce moment, on est à la veille de La folle aventure de Broadway, qui va se donner demain. Pouvez-vous nous raconter comment l’idée est née de ce partenariat avec Tremplin Jazz, qui est un festival de jazz à Avignon ?
C’est un projet qui existe déjà, puisque le projet de La folle aventure de Broadway a été créée à Liège en 2014, il a ensuite été repris par l’orchestre de Pau… donc c’est un spectacle qui a déjà tourné, sous la direction de Fayçal Karoui. C’est un projet que je trouve génial, premièrement parce que la musique est incroyable…

La musique est de qui ?
Il y a tous les grands tubes (Bernstein, Sondheim…), avec des arrangements pour l’orchestre de Cyrille Lehn qui sont vraiment excellents. L’orchestre n’est pas là uniquement pour faire joli, sa participation est très active. En tout, il y a donc un quatuor de jazz, un orchestre, et deux chanteurs. La manière dont c’est écrit pour l’orchestre donne une impression de big band, où les vents ont une partie importante. C’est un super projet, avec des artistes complets : Frédérik Steenbrink et Isabelle Georges. Isabelle chante, danse, fait des claquettes, raconte… ce sont des bêtes de scène. Le travail de l’orchestre est génial parce qu’on ne travaille pas La folle aventure comme une symphonie de Mozart, c’est un tout autre travail : je dirige sans baguettes, on insiste sur la pulse, le phrasé, et on s’appuie beaucoup sur le quatuor.

Quelle est votre relation avec le Tremplin Jazz ? C’est la première fois que que vous travaillez avec eux ?
Non, il y avait eu des concerts, des co-productions. A titre personnel, j’ai été invité en tant que jury au Tremplin de Jazz deux années de suite. Nous sommes des amis de longue date.

Vous avez travaillé dans des maisons très prestigieuses, y compris l’Opéra de Paris. Par rapport à d’immenses capitales, il y a une différence quand on travaille dans une ville plus petite comme Avignon ?
C’est la même chose, le même métier. On travaille de la même manière. Quand on veut monter un projet, une œuvre, que vous soyez à Paris, New-York ou Avignon, finalement vous faites le même métier. A Paris, vous pouvez sentir davantage le poids des grandes institutions. Ici, maintenant que l’orchestre commence à être véritablement reconnu, on a beaucoup de retours critiques, un public exigeant, la pression est présente aussi.

Informations pratiques

La folle aventure de Broadway, Vendredi 24 mai 2019 à 20h30 A l’Opéra Confluence – Avignon Tarifs : A partir de 5 euros Durée : 1h30. Réservations

Samuel Jean direction, Isabelle Georges mezzo-soprano, Frédérik Steenbrink ténor, Gilles Barikovsky saxophone, Guillaume Naud piano, David Grebil batterie, Jérôme Sarfati contrebasse, Cyrille Lehn arrangements

Photo : ©Manuel Braun

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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