Classique
Misteria Paschalia : musique sacrée en temps pascal

Misteria Paschalia : musique sacrée en temps pascal

29 April 2019 | PAR Raphaël de Gubernatis

A Cracovie, ancienne capitale de la Pologne, se déroule depuis plus de 16 années l’un des plus beaux festivals de musique baroque qui soit au monde

Au mitan de la nuit noire dans laquelle est plongée la mythique colline du Wawel, elle qui porte à Cracovie l’antique château royal ainsi que le panthéon des rois et des gloires de la Pologne, les cloches de la cathédrale se sont mises à sonner à toute volée pour annoncer la Résurrection. Suivi de tout son clergé, à l’issue d’une liturgie qui a duré plus de trois heures, le cardinal-archevêque est allé extraire de la chapelle où a été représenté le tombeau du Christ l’ostensoir contenant le Saint Sacrement qu’il porte en cortège jusqu’au maître autel. Et dans le fracas des clochettes dorées agitées devant le dais qui vacille au milieu de la foule, dans la ferveur des cantiques, parmi les tombeaux royaux de porphyre rouge et les chapelles théâtralement drapées de marbre noir et d’or ancien, la multitude des fidèles s’est toute entière agenouillée sur le marbre glacé au passage du Corpus Christi.

Larmes et sidération

C’est la fin de cette Semaine Sainte qui en Pologne, tout comme en France, a débuté dans les larmes et la sidération avec l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris. Pétrifiés, en pleurs pour beaucoup, les Polonais ont passé le soir du Lundi Saint devant leurs postes à contempler l’effroyable catastrophe de Notre-Dame, alors que les chaînes télévisées avaient interrompu leurs programmes pour se fixer sur Paris. Puis les jours qui ont suivi, comme cela se fait depuis des siècles, les églises, réduites au silence par la mort du Crucifié, se sont remplies de fidèles alignés devant les confessionnaux. Ou prosternés, face aux reposoirs rayonnants de lumière au sein desquels le corps du supplicié est figuré quasiment nu ou recouvert d’un linceul blanc.

Eglises et palais

L’atmosphère empreinte de spiritualité qui règne à Cracovie offre quelque chose de poignant durant la Semaine Sainte. Une atmosphère qui est également festive avec les milliers de Cracoviens qui viennent faire bénir le Samedi Saint leurs petits paniers d’osier tressé tout emplis des victuailles qui seront servies dans les maisons le dimanche de Pâques, avec les marchés qui regorgent de mets traditionnels, avec la multitude des visiteurs qui animent les rues et les restaurants du « Stare Miasto ». Cette ville ancienne, tout à la fois médiévale, renaissance, baroque, néo-classique et art nouveau, avec sa multitude d’églises et de palais princiers qui font d’elle l’une des plus belles cités européennes.

Les meilleures formations de musique baroque

Dans ce climat de ferveur s’épanouit depuis seize années le festival de musique sacrée « Misteria Paschalia » qui fait appel aux plus excellentes formations de musique baroque que compte l’Europe et qui depuis quelques années consacre chaque édition au répertoire d’un pays différent. C’était la France il y a deux ans. Et ce fut alors, tout comme en 2014, l’une des plus brillantes versions de « Misteria Paschalia ». Ce sera l’année prochaine, en 2020, la musique sacrée des pays protestants qui sera honorée, sous la direction artistique du chef d’orchestre français Raphaël Pichon. Puis l’année suivante les musiques religieuses de l’Espagne et du Portugal ainsi que l’Amérique du Sud.

Compositions napolitaines

Cette année, c’est à l’Italie, à l’Italie du Sud surtout, qu’est revenu l’ensemble de la programmation avec « La Passion selon Saint Jean » de Gaetano Veneziano donnée le Lundi Saint par la Cappella Neapolitana et le chœur de la Radio Polonaise sous la conduite d’Antonio Florio, originaire de Bari ; avec des cantiques de la Passion le Mardi Saint, composés par Antonio Caldara, Nicola Conti, Niccolo Jommelli, Francesco Uttini, Antonio Salieri, Pietro Maria Crispi ou Stanislao Mattei…mais interprétés par l’Orkiestra Historyczna, formation basée à Katowice, et le contre ténor italien Filippo Mineccia; avec aussi, le Mercredi Saint, des compositions de Polonais comme Mikolaj Zielenski ou Bartlomiej Pekiel ou d’Italiens comme Claudio Monteverdi, Tarquinio Merula ou Asprilio Pacelli, compositions chantées par la Capella Cracoviensis, fondée en 1970, et jouées par l’ensemble instrumental belge Oltremontano dans l’église Sainte Catherine d’Alexandrie ; avec encore, le Jeudi Saint, un « Credo » d’Antonio Vivaldi, un « Stabat Mater » de Giovanni Bononcini ou un « Miserere mei, Deus » de Leonardo Leo, interprétés par le Concerto Italiano sous la direction de Rinaldo Alessandrini avec en solistes Enrico Torre, Sonia Tedla, Luca Cervoni et Salvo Vitale. Compositions d’Antonio Nola pour le Vendredi Saint lors d’un concert titré « Tristes erant Apostoli » ; « Cuntu de la Passiuni » chantés par Pino De Vittorio accompagné par Laboratorio ‘600, le Samedi Saint ; et enfin musique profane pour le Lundi de Pâques avec diverses pièces regroupées sous le titre de « Festa Napoletana », chantées par Roberta Invernizzi et De Vittorio accompagnés par la Cappela Napoletana.

Le temps d’un « Stabat Mater »

Le tout, il faut le reconnaître, du moins pour ce que l’on a entendu, n’était pas réellement au niveau des meilleures éditions de « Misteria Paschalia ». Le concert « Tristes erant Apostoli » par exemple, mal construit sans doute, très décousu, n’aura été exceptionnel que le temps d’un « Stabat Mater ». Alors que «Lu Cuntu de la Passiuni » auront en revanche ébloui les auditeurs installés dans la chapelle de Sainte Kinga, creusée au fin fond des mines de sel de Wieliczka. Et que la présence de la soprano Roberta Invernizzi aura sans doute transporté les auditeurs du dernier concert.
Si le contexte de ferveur dans laquelle vit Cracovie durant le temps pascal nimbe le festival « Misteria Paschalia » d’une dimension spirituelle qu’on ne peut plus, hélas ! rencontrer en France, l’ancienne capitale du royaume de Pologne sait aussi donner dans des valeurs plus terre à terre.

Cracovie, capitale européenne de la gastronomie

Après avoir été capitale européenne de la Culture, Cracovie s’est fait nommer cette année capitale européenne de la Gastronomie et ses restaurants se rangent sous cet emblème pour mieux faire apprécier une cuisine souvent excellente, savoureuse, mais bien mal connue. Les établissements les plus huppés comme « Szara Ges » (L’Oie grise), établi au 17, du Rynek Glowny, ou son voisin, l’historique « Wierzynek » (16, Rynek Glowny), rendu célèbre pour les fêtes et banquets qu’en 1364 le roi Casimir le Grand offrit dans cette maison à Charles IV de Luxembourg, empereur du Saint-Empire et à son gendre le duc Rodolphe IV d’Autriche, à Louis 1er d’Anjou, roi de Hongrie, au roi Waldemar IV de Danemark, au roi de Chypre, Pierre de Lusignan, à Louis VI de Bavière, premier prince-électeur de Brandebourg et à divers princes voisins, dans le but de créer une coalition afin de chasser d’Europe les Turcs, ces établissements magnifiquement installés dans des salles gothiques pour le premier ou dans des salons impressionnants pour le second, offrent une cuisine sophistiquée. On leur préférera des établissements de cuisine traditionnelle, plus simple sans doute, mais plus savoureuse, comme « Pod Baranem » (ulica Sw. Gertrudy, 21), « Klimaty Poludnia » (ulica Sw.Grtrudy, 5) ou CK Dezerter (ulica Bracka, 6). La cuisine polonaise sait être délicieuse. Et même dans un couvent de Bénédictins comme celui de Tyniec, édifice historique magnifiquement situé sur un promontoire rocheux surplombant la Vistule et donnant sur un paysage enchanteur protégé, inchangé depuis des siècles, les collations pascales offertes aux hôtes de passage, toutes issues de culture biologique, peuvent être somptueuses et diaboliquement tentantes.

Concerts nocturnes

« Misteria Paschalia » a cette année renoncé à ses concerts nocturnes dans la fabuleuse église du Saint-Sacrement, nommée en polonais « Bozego Ciala » (le Corps de Dieu ou Corpus Christi). Une merveille gothique emplie de merveilles baroques. Dans cette église immense, les « Leçons de Ténèbres » et autres musiques sacrées exécutées à la seule lumière de quelques cierges offrent une dimension saisissante due à la fois aux dimensions extraordinaires de l’édifice et à l’obscurité dans laquelle il est plongé, alors que les chapelles richement ornées revêtent dans la pénombre un aspect fantastique. Mais il y faisait l’an dernier des froids de 4° centigrades durant la semaine pascale et il a fallu se rabattre sur l’église de la Sainte Croix, plus petite, très belle aussi, moins impressionnante, mais qu’on peut chauffer. Beaucoup de la magie de « Misteria Paschalia » tient à la beauté des églises où se déroulent les concerts. Les plus importants déjà doivent se donner au palais des Congrès qui peut accueillir un nombreux public, dans de belles salles, certes, mais sans âme aucune, et abritées de surcroît dans un édifice ultra moderne d’une laideur décourageante.

Compositeurs luthériens

L’an prochain donc, les festivaliers y entendront les œuvres de compositeurs luthériens. Une découverte pour les Polonais catholiques qui forment 60% de l’auditoire, 40% des auditeurs de « Misteria Paschalia » venant de l’étranger. Car le festival s’est depuis longtemps rangé parmi les plus brillantes manifestations de musique baroque dans le monde et attire les connaisseurs. Et dans cette ville magnifique qu’est Cracovie, malheureusement envahie par des hordes de voyageurs et quelque peu dénaturée par les excès de l’industrie du tourisme, quand le soleil printanier, allié à la beauté des célébrations liturgiques et des édifices religieux, est au rendez-vous, le séjour est un enchantement. On y oublierait même les outrances nationalistes et les tendances totalitaires du gouvernement en place à Varsovie, comme l’esprit rétrograde d’une partie du clergé polonais. D’autant plus qu’à Cracovie, c’est l’opposition qui tient la ville et que celle-ci est le siège de la meilleure des publications polonaises, « Tygodnyk Powszechny », hebdomadaire catholique foncièrement libéral, fondé en 1945 par le cardinal-archevêque de Cracovie, le prince Adam Sapieha, et qui, après avoir été un phare dans l’obscurité communiste se maintient comme tel face aux excès de la droite extrême actuellement au pouvoir.

Raphaël de Gubernatis

Le prochain festival« Misteria Paschalia » se déroulera à Cracovie du 6 au 13 avril 2020.

Visuels :  Jack Florek@Krakow Festival Office

Paolo Moretti, délégué général de la Quinzaine des Réalisateurs : “La dimension visionnaire c’est ce qui me passionne”
Emmanuelle Martinat-Dupré nous parle de l’exposition “Traits animés” au Musée de l’illustration jeunesse de Moulins
Raphaël de Gubernatis

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration