L’excellence à l’ancienne : Dubois et Raës conquièrent en poétes musicaux aux Grand Salon des Invalides
Ce lundi soir, le 17 juin 2019, l’extraordinaire Duo Contraste (le ténor Cyrille DUBOIS et le pianiste Tristan RAËS) a clôturé la Saison Musicale des Invalides 2018-2019 sur une note poétique et commémorative. En écho à l’exposition Picasso et la Guerre, ce récital inspiré s’est déployé en cinq cycles des chants : des vers de Guillaume Apollinaire, Francis Coutts, Jean Cocteau, Paul Éluard et Théophile Gautier mis à la musique de Francis Poulenc, Isaac Albéniz, Arthur Honegger et Manuel de Falla.
Il y a à peine trois semaines qu’on a eu l’heureuse occasion de découvrir le remarquable Cyrille Dubois au Théâtre des Champs-Élysées, incarnant un Hyppolite de Rameau tout à fait convaincant aussi bien au niveau technique que dramatique, un rare mélange de maîtrise et de lyrisme le plus naturel. Ce soir, l’on profite du format de récital pour étudier toutes les nuances de sa merveilleuse voix depuis qu’elle assume une vaste étendue des teintes d’affection, d’humour, d’ironie, de la mélancolie et de l’aspiration. C’est évidemment une voix de polyvalence épistouflante, capable de se transformer, en un clin d’œil, d’un courant perlé à un fer de lance de puissance perçante redoutable, prudemment feutrée pour respecter les limites de la salle. L’accentuation dynamique de Dubois est vertueusement contrôlée, sa diction pourrait facilement servir de modèle au cours de la phonétique, et sa phraséologie prodigieuse ne prend jamais des raccourcis. Mais bien au-delà de ces compétences techniques, Dubois manifeste une sophistication empathique et expressive qui lui permet de se livrer à une identification la plus complète avec ses rôles, sans la moindre trace d’une timidité encombrante : c’est un homme, si l’on ose dire, bien au diapason de ses émotions et celles des autres, ce qui fait de lui un acteur de qualité rarement vu dans l’opéra. En l’écoutant, l’on songe aux meilleurs enregistrements anciens où la technique, bien qu’irréprochable, était mise entièrement au service d’un sens plus élevé poétique et sentimental. Dubois se nourrit de la tradition tout en débordant d’un enthousiasme et de la sincérité les plus rafraîchissants : c’est toute la gloire de la « vielle école » sans la poussière du temps et des supports techniques dégradés.
Le pianiste Tristan Raës est un génie subtil d’accompagnement, dont le toucher est plein de vigueur au doublure plumetée somptueuse : un soutien souple, agile et léger comme des ailes battantes. Le Duo Contraste respire une résonance professionnelle de longue date, nouée dès la première collaboration de Dubois et Raës dans la classe de Lied et Melodie d’Anne LE BOZEC et Emmanuel OLIVIER au Conservatoire National Supérieur de Danse et de Musique de Paris en 2008, accordée le prix à l’unanimité en 2009. Suivent des consultations et des master-classes avec Jeff COHEN, Anne GRAPOTTE et Helmut DEUTSCH. En 2010, victoire au concours de Lied et Mélodie Nadia et Lili Boulanger, et le reste, comme on dit, « is history » ! Le Duo se met à travailler un répertoire vaste et éclectique : Schubert, Schumann, Wolf, Brahms et Strauss pour les grands cycles allemands, Fauré, Poulenc, Debussy, et Duparc pour les mélodies françaises, ainsi que des sélections de Rachmaninov, Britten et Théodore Dubois. L’on écoute donc ce soir des vétérans décorés du genre, avec un nouveau disque dédié à Liszt tout juste sorti des presses d’Aparté, dont quelques avant-goûts dévoilés à la fin du récital promettent un jardin de délices.
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