
Floraison de jeunes talents à la Finale du Concours Cesti à Innsbruck
L’édition 2020 du Festival de musique ancienne d’Innsbruck s’achève avec la finale du Concours Cesti, une des plus importantes compétitions de chant en matière de répertoire baroque.
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Si le festival d’Innsbruck a plus de quarante ans, le Concours de chant Cesti qui distingue les jeunes talents les plus prometteurs dans le répertoire baroque, en est à sa onzième édition en 2020.Pour la finale, les treize solistes en lice doivent interpréter deux airs, dont l’un tiré du Boris Godounov de Mattheson – après une mise en bouche avec l’Ouverture du Farnace de Vivaldi. Ainsi conçu, le programme permet de retrouver d’un concurrent à l’autre certaines pages, et mettre en perspective les ressources vocales et théâtrales, accompagnés par le Concerto Theresia, sous la houlette d’Andrea Marchiol.
Des quatre sopranos, deux recevront un Prix spécial. Avec son babil aérien et très fruité, Anita Giovanna Rosati séduit par une indébiable plénitude de l’émission vocale, qui fait éclore toutes les saveurs de son timbre, tant dans L’alma goder a prepara tiré du Siroe de Hasse que dans Tutta l’anima gode du Mattheson. Si son entrée se révèle un peu timide dans le même air, Julie Goussot, également couronnée par un Emerging Talent Prize, laisse progressivement s’épanouir la finesse de la musicalité d’une vocalité discrètement feutrée, que l’on retrouve le Voglio amare du Partenope de Haendel, et fait songer parfois aux débuts de la carrière de Sandrine Piau. Dans ces deux mêmes pages, la slovène Tea Trifkovi?, cadette de la compétition avec ses vingt-quatre ans, séduit par une sensibilité sincère et équilibrée, dans un format plus lyrique. Quant à la quatrième soprano, Sara Gouzy, la largeur de sa voix la rapproche de la mezzo britannique, Bethany Horak-Hallett, et les deux s’affrontent dans l’Alma mia de Mattheson. Les accents légèrement métalliques de la Française dans Volati amori de l’Ariodante de Haendel, ne compromettent pas une expressivité dramatique qui s’appuie sur une intéressante couleur vocale. Sa rivale fait impression sur le public avec sa débauche d’effets, mais parfois au péril des notes et du bon goût, ce que confirme le nerveux O stringero nel sen du Teseo de Haendel.
Parmi les trois ténors, un seul sera récompensé par l’autre Emerging Talent Prize du palmarès. S’il possède des moyens relativement modestes, l’Australien Jacob Lawrence sait les magnifier avec une intelligence et un instinct du style remarquables, pétris de nuances, tant dans le Vorrei scordarmi du Mattheson, que dans le Ciel e terra al mio sdegno du Tamerlano de Haendel, air que Christopher Sokolowski défend avec un éclat plus extraverti. L’Américain se révèle plus à l’aise dans le registre héroïque que dans les introspections du Vago amabile mio viso de Mattheson, dans lesquelles Nile Senatore compense les limites de sa voix par un époustouflant numéro d’incarnation dramatique, aux confins de la démesure narcissique. L’illusion se confirme dans le Ti stringo in questo amplesso de L’Atenaide de Vivaldi.
Les amateurs de voix graves sont servis, avec pas moins de trois basses et un baryton-basse, qui tous se mesurent au même air de Boris, Io felice e fortunato. Si le baryton-basse serbe Sreten Manojlovic ne répond pas exactement à la tessiture du morceau, il sait néanmoins restituer avec un évident naturel scénique la psychologie d’un souverain que l’on devine passablement cynique sous son allure débonnaire. Ce savoir-faire s’entend également dans Haendel, Esser mia dovra la bella tortorella, extrait Imeneo, et lui a valu le Troisième Prix de ce concours. Le Deuxième Prix revient à Jose Coca Loza, Bolivien aux graves colorés et à la présence animale qui enflamme le Nell’mondo, nell’abisso du Tamerlano de Haendel, mais cède un peu trop à une vigueur primitive dans le Mattheson. Si le Français Olivier Gourdy a pour lui uen certaine précision de la déclamation, sa prestation se révèle bien pâle dans les deux pages. Quant à l’Ukrainien Yevhen Rakhmanin, son Mattheson résume l’autorité du tsar, et si la solidité de la basse ne fait pas de doute, elle garde une marge certaine de maturation, que ne démentira pas le Cor ritroso de La fida ninfa de Vivaldi.
Mais c’est indéniablement la contralto Margherita Maria Sala qui se distingue nettement de la compétition, avec un art déjà abouti, tant dans l’authentique qualité d’une voix à la tessiture rare que dans la subtilité des nuances d’une musicalité habitée, laquelle n’a pas besoin de béquilles pour irradier une puissance expressive, tant dans le Furie son dell’alma mia du Partenope de Haendel, que dans l’hypnotique mélancolie du Tordido intorno al core de Meride e Selinunte de Porpora, redonné en bis pour le plus grands plaisir des oreilles. Egalement récipiendaire d’un Prix spécial, l’Italienne recevra le Premier Prix, ainsi que, sans surprise, le Prix du public. Assurément, un nom à suivre.
Gilles Charlassier
Innsbrucker Festwochen der alten Musik, Finale du 11ème Concours Cesti, 30 août 2020
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