Classique
Entretien avec le pianiste Théo Fouchenneret : “Il n’y a pas une année ou je n’ai pas joué Beethoven”

Entretien avec le pianiste Théo Fouchenneret : “Il n’y a pas une année ou je n’ai pas joué Beethoven”

28 October 2020 | PAR Yaël Hirsch

« Révélation soliste instrumental » aux Victoires de la Musique Classique en 2019, le pianiste Théo Fouchenneret a enregistré deux sonates de Beethoven : la Hammerklavier (opus 106) et la Waldstein (opus 53) dans son premier disque solo paru cet automne à la Dolce Volta. Il ouvre avec Adrien Lamarca le festival du label le 31 octobre aux Bouffes du Nord. L’occasion de le rencontrer pour qu’il nous parle de son parcours et de cet enregistrement qui nous a beaucoup émus.

La Covid a-t-elle beaucoup impacté votre programme de cette année ?
Pendant le confinement évidemment tout s’est arrêté, puis cela a bien repris au mois de juin, puis en juillet-août cela s’est très bien passé. Globalement, je suis passé un peu entre les gouttes donc ça s’est plutôt bien passé, mais là ça se complique. Heureusement, il y a de organisateurs qui prennent des risques et se montrent flexibles avec les horaires. Pour le disque c’était peut-être un peu moins facile, comme pour tous les acteurs du métier. Il y a eu quelques retards de diffusion à cause du confinement. En cette période, nous sommes nombreux à avoir l’impression qu’il y a beaucoup de risques, on n’a pas de vision et on a l’impression de faire des choses dans l’urgence.

Vous allez jouer Beethoven samedi à 15h, lors du Festival la Dolce Volta. C’est plus facile de le jouer après l’avoir enregistré ?
Oui c’est vrai. J’ai rejoué plusieurs fois les deux sonates. L’enregistrement est un mode tellement perfectionniste qu’on en ressort grandi dans le jeu, donc c’est toujours très agréable de rejouer une œuvre après l’avoir enregistrée. J’essaie de travailler de la manière la plus rationnelle et quasiment la plus scientifique possible. Donc j’essaie de me servir de tout ce qu’il y a, de richesse et d’inventivité, pour après aimer cette partition et la retranscrire via mon filtre. Mais je ne développe pas mon filtre quand je travaille. Je suis dans une démarche personnelle qui me pousse à vouloir jouer la musique simplement, pour essayer de la faire comprendre.

C’est votre premier album solo. Pouvez-vous nous parler des disques qui l’ont précédé ? Quelle différence cela fait-il d’être seul ? Et comment s’est passé l’enregistrement ?
J’ai enregistré plusieurs albums de musique de chambre. J’ai fait partie du trio Messiaen avec David Petrlik et Volodia Van Keulen. Nous avons aussi enregistré le fameux quatuor pour la fin des temps et une pièce de Thomas Aèdes avec Raphaël Sévère. Et juste avant ce premier disque solo, j’ai aussi enregistré un album de musique de chambre, avec Astrig Siranossian au violoncelle : la Sonate pour violoncelle et piano de Poulenc, des pièces de Fauré et des morceaux du compositeur arménien Komitas. Et oui les enregistrements sont très différents parce qu’effectivement quand on est à plusieurs il y a toujours quelqu’un pour compenser les moments de creux, pour tirer les autres vers le haut. On peut se reposer sur les autres quand ça va un peu moins bien. Le solo est plus exigeant d’un point de vue énergie. Mais c’est aussi génial et j’ai beaucoup appris. J’ai déjà enregistré seul mais pour des dvds ou des extraits à envoyer à des concours. Là pour ce premier disque solo, c’était vraiment intense, épuisant et très instructif. Au début de l’enregistrement, j’avais fait une sorte de plan, et en fait au fur et à mesure, nous avons procédé un peu à l’instinct. L’essentiel pour moi, c’était de garder du temps pour jouer à la fin de l’enregistrement pour avoir des prises longues. Souvent ce que je trouve dérangeant dans certains enregistrements, c’est de segmenter la musique. Si tout est un peu découpé, je trouve que l’essentiel se perd. Je voulais garder un vrai souffle et j’ai eu le temps de le faire…

Et pouvez-vous nous parler de votre relation à Beethoven ?
C’est le compositeur qui a eu le plus d’impact sur moi dans ma jeunesse. J’ai eu les vraies révélations vers 13 ou 14 ans. J’ai eu un amour assez prononcé très rapidement pour les œuvres de la fin, les derniers quatuors à corde. Et depuis, je crois qu’il n’y a pas une année ou je n’ai pas joué Beethoven. J’ai découvert qu’on disait que la sonate Hammerklavier était la plus complexe et évidemment, cela m’a beaucoup intéressé. Je l’ai écoutée, et je n’ai pas vu le côté aride à cette époque-là, parce que j’étais stimulé et le mouvement lent me séduisait énormément. Du coup, j’ai insisté auprès de mes professeurs pour l’apprendre et j’ai pu commencer à la travailler vers 17 ans. C’est une œuvre avec laquelle je vis depuis maintenant assez longtemps. Quand La Dolce Volta m’a proposé d’enregistrer mon premier disque ils m’ont laissé complètement libre de choisir. J’avais toujours eu la Hammerklavier en tête, et comme c’était l’année Beethoven, cela m’a permis de me lancer dans cette proposition. Et j’ai eu envie d’y associer la Waldstein, qui est n’est pas moins complexe d’ailleurs, mais qui est beaucoup plus universelle. Quand on l’entend pour la première fois, c’est comme si on l’avait déjà écoutée. Il y a une sorte d’évidence dans le geste, quelque chose d’extrêmement naturel. C’est un chef d’œuvre, une merveille.

Préparez-vous déjà le deuxième album solo ?
C’est une excellente question, parce que je suis en pleine réflexion. La première question c’est effectivement dois-je continuer dans Beethoven ? C’est quelque chose qui est très prenant. Une fois qu’on est lancé, il y a un côté mono-maniaque et 32 sonates à enregistrer. C’est évidemment dans un coin de ma tête. Mais il y a l’enjeu de dévoiler autre chose de ma personnalité, peut-être de la musique française et pas forcément germanique. Je suis très attaché à Fauré par exemple, et pourquoi pas le coupler à d’autres choses ? C’est encore en pleine réflexion.

Pouvez-vous nous parler de votre famille. Il y avait de la musique à la maison ?
Mes deux parents étaient des travailleurs sociaux en fait. Ils s’occupaient d’un foyer pour enfant, et ma mère était formatrice pour éducateurs spécialisés. Ma mère est du Nord, et mon père est Bourguignon. Ce sont deux amoureux du soleil qui ont décidé de faire leur vie à Nice. Ils s’y sont rencontrés et y vivent toujours. Et oui, il y a toujours eu de la musique à la maison, ils voyaient que ça nous plaisait donc ils continuaient à nous nourrir de ça. Mon père était plutôt jazzman en fait et il a fait un peu de batterie. Mais on entendait aussi du Beethoven depuis ma plus tendre enfance. Et puis mon frère qui a 9 ans de plus que moi est musicien, il est violoniste et j’ai fait un peu de violon aussi. J’ai des souvenirs d’académie, parce qu’on emmenait mon frère aux académies d’été, et j’entendais les étudiants jouer, notamment mon frère. J’ai commencé par le même instrument que lui vers 3 ans. Mais le professeur de mon frère a plutôt conseillé le piano. L’épouse du professeur de mon frère enseignait- et enseigne toujours- le piano au Conservatoire de Nice et j’ai eu de la chance de tomber sur une professeure assez exceptionnelle. Mon premier concert a eu lieu très tôt, je crois que j’avais 6 ans ou 7 ans et c’était à l’UNESCO, à Paris. C’était l’association « jeunes interprètes » qui avaient programmé pour moi 5 minutes de Fauré.

Vous étiez un artiste précoce. Vous ne vous êtes pas senti trop exposé ?
C’est vrai que j’ai eu des années d’avance, je suis rentré au CP à 3 ans, j’ai terminé le lycée à 15 ans et j’ai eu mon premier prix de piano à 13 ans. Mais non j’ai été bien protégé par mes parents et par ma professeure de piano. Et puis après le Bac, j’ai pu étudier à Boulogne où j’ai rencontré Hortense Cartier-Bresson et à Paris pour finir mes études au conservatoire. Mon frère, lui, s’était installé à Paris à l’âge de 12 ans. Donc c’est un enfant encore plus précoce que moi…

Et vous jouez encore ensemble avec votre frère ?
Oui de plus en plus. Nous développons plusieurs projets ensemble qui devaient éclore l’an prochain. Notamment un disque autour de Fauré que nous apprécions énormément tous les deux. Et nous avons aussi une petite sœur, qui fait du violoncelle. Elle a 22 ans et étudie à Lausanne…

visuel : couverture d’album

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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