Cinema
Le Chardonneret, tentative de traduction d’une merveille

Le Chardonneret, tentative de traduction d’une merveille

18 September 2019 | PAR Antoine Couder

Le réalisateur Irlandais John Crowley (“Brooklyn”, 2015) s’attaque à l’adaptation du chef d’œuvre de Donna Tartt. Honnête mais sans éclats.

Il fallait du courage (mais aussi de l’ambition) pour tenter de mettre en image ce roman, prix Pulitzer 2014, et merveilleuse métaphore de l’Amérique qui décrit dans une longue fresque introspective le destin du vrai et du faux, de la copie et de l’original dans un monde finissant, sans doute l’avant 11 septembre durant laquelle les Musée nationaux deviennent la cible d’attentats terroristes et les adolescents de parfaits usagers de drogues.

L’illusion du vrai. Au départ et comme point de départ, ce tableau de Carel Fabritius considéré comme un chef d’œuvre de la peinture illusionniste à l’époque où les premiers colons européens s’installent en Amérique. Un magnifique «  Chardonneret » peint mi-XVIIème siècle qui se retrouve entre les mains du jeune Théo après l’explosion du Metroplitum Museum of Art où sa mère trouve la mort. Écrasé par la culpabilité (ils devaient se rendre à une convocation du proviseur mais la pluie les a incité à faire une pause au Musée), Théo dissimule le chef d’œuvre tout au long de sa jeune et chaotique vie d’adolescent qui le mène de famille en famille jusqu’à l’atelier de restauration de Hobie (Jeffrey Wright impeccable) où il fera de son métier l’habitude de dissimuler le faux sous l’apparence du vrai, revendant des pièces bricolées et créant l’illusion, redressant au passage la boutique de l’artisan alors en faillite. Bien installé dans la vie, il parvient finalement à épouser la fille de sa mère adoptive avec qui il entretient une trouble relation filiale (Mme Barbour, fascinante Nicole Kidman).

Zone trouble de la défonce. Sans cesse, la question de l’imitation, plus vrai que le vrai, tenaille cette histoire, tout particulièrement  dans les consommations de drogues de Théo et son ami jeune ami Boris (fantastique Finn Wolhard) qui, dans leurs capacités à modifier leurs perceptions de l’univers repose la question de savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Pour la romancière et, en l’occurrence le réalisateur, l’histoire nous mène au delà du vrai et du faux, dans cette zone trouble de la défonce et jusqu’au dénouement final :  la découverte du vol du tableau et la meurtrière équipée qui s’en suit pour le récupérer et finalement rétablir une morale du monde certes sévères mais suffisamment animée par l’amour et l’empathie envers ses semblables pour devenir acceptable.

Pourriture ou nature morte. Le scénario ( 2h30) est basé sur l’écroulement de cette American way of life, démarrant là où tout à commencé, à Amsterdam où le Chardonneret fut peint avant que l’atelier de Fabritius n’explose et ne laisse à la postérité cet étrange tableau. La boucle est bouclée, le film retombant sur les rails du synopsis de Tartt avant de conclure sur un happy end. Un final pas tout à fait dans l’esprit du livre plus sombre et plus méditatif qu’il n’y paraît et qui semble dire qu’à trop se perdre dans la contemplation des détails représentés dans ces chefs-d’oeuvre, on doit bien admettre que la perfection n’est pas de ce monde. La preuve :  en peignant magnifiquement des natures mortes, les grands maîtres Hollandais montraient toujours un peu de pourriture, un processus de décomposition pour indiquer au public la consistance réelle de la vie organique. Rien ne dure, en effet (et certainement pas l’Empire Américain) ; pour autant rien n’oblige à céder à la vie organique,  à courber l’échine et à ramper devant la mort. C’est bien la morale du film comme celle de ce livre formidable qui mérite d’être découvert par une nouvelle génération de lecteurs.

 

Visuel : Affiche 

 

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Antoine Couder
Antoine Couder a publié « Fantômes de la renommée (Ghosts of Fame) », sélectionné pour le prix de la Brasserie Barbès 2018 et "Rock'n roll animal", un roman édité aux éditions de l'Harmattan en 2022. Auteur d'une biographie de Jacques Higelin ("Devenir autre", édition du Castor Astral), il est également producteur de documentaires pour la radio (France culture, RFI).

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